Chapitre16: on ne choisit pas sa famille (partie 2)
La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.
O&P
Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.
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Merci beaucoup de vos commentaires, favoris et « follows ».
ga1234 et un guest: il n’y aura pas de vengeance contre Caro en tant que telle car, à mon avis, cela ne correspondrait pas aux personnages de Darcy, Lizzie ou Bingley, mais elle sera remise à sa place.
Autre Guest: C’est appréciable d’avoir votre ressenti au sujet du changement de Darcy, merci. Je pense qu’il a eu un véritable choc avec le rejet d’Elizabeth alors qu’elle a accepté l’offre de son cousin, du moins c’est ce qu’il croit. De plus il a eu presque deux mois pour réfléchir à tout cela, j’espérais avoir réussi à le monter dans le chapitre sur sa rétrospection. Certaines personnes ne changeront jamais malgré les différentes leçons de vie qu’elles reçoivent parce qu’elles n’accepteront jamais d’être remises en cause, d’autres peuvent tirer les bonnes conclusions et changer rapidement, notamment après un choc ; c’est le parti que j’ai choisi ici pour Darcy. Bien sûr, ce n’est que mon humble avis et je conçois que cela puisse vous sembler brutal. Dans le roman original, Jane Austen ne nous montre pas l’évolution dans la transformation de Darcy, on voit juste un Darcy changé à Pemberley quatre mois après son rejet, il a donc eu deux fois plus de temps pour évoluer.
Assez de bla-bla 😀 , voici la rencontre Darcy-Bennet tant attendue, j’espère qu’elle sera à la hauteur de vos attentes.
La sonate de l’amour
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Il n’y a point de tableau plus charmant que celui de la famille.
– Jean-Jacques Rousseau –
(à prendre ici dans le sens ironique)
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Chapitre 16 – 2ème partie : on ne choisit pas sa famille…
Deux jours après l’arrivée des Darcy à Netherfield, ceux-ci ainsi que les Bingley furent invités à Longbourn Mrs Bennet ne pouvait pas manquer de présenter ses filles au prestigieux ami de son futur gendre. Pensez donc, une rente annuelle de dix mille livres, plus de la moitié du Derbyshire en propriété, un hôtel particulier à Londres et de la famille dans la noblesse !
Darcy essaya de rassurer sa sœur qui était angoissée à l’idée de faire la connaissance de tant de personnes à la fois. Il profita d’être seul avec elle pour lui dire qu’il avait déjà rencontrée Jane Bennet, une charmante et douce jeune femme, un peu comme elle-même. Il lui révéla aussi qu’il avait fait la connaissance de Miss Elizabeth, chez leur tante à Rosings, que celle-ci était l’amie de la femme du pasteur de Lady Catherine et cousine de celui-ci. Il lui raconta qu’elle jouait bien du pianoforte, se disant qu’ainsi, elle pourrait trouver un sujet de conversation aisé avec la jeune femme.
Les quatre invités arrivèrent dans la berline de Darcy, plus spacieuse et confortable que celle des Bingley. Lydia, qui guignait à la fenêtre, vit arriver la luxueuse voiture.
– Oh la la ! En voici une voiture de riches avec des armoiries ! Dites Lizzie, est-ce bien celle du fameux ami de Mr Bingley ? Mr Dancy…Barcy ?
– C’est Mr Darcy, veillez à vous en souvenir Lydia, ma chérie, car vous pourriez bien en faire votre futur époux, lui dit sa mère.
– Eh bien si tel était le cas, cela ne présagerait rien de bon sur le caractère de cet homme à vouloir épouser l’une des filles les plus sottes d’Angleterre, dit avec sarcasme Mr Bennet qui venait d’entrer dans le salon. Lui aussi avait vu arriver la voiture depuis son bureau où il restait la plupart du temps.
– Mr Bennet, n’allez pas gâcher la journée avec vos taquineries ! réprimanda-t-elle son époux.
Comme bien souvent, elle ne se rendait pas compte que c’était du sarcasme. Allez prendre place les filles, arrangez votre tenue et pincez-vous les joues, ça donne bonne mine ! Et Kitty, arrêtez donc de tousser ! Dépêchez-vous, ils seront là d’un moment à l’autre !
Mères et filles s’agitèrent comme des abeilles dans la ruche avant d’adopter la meilleure pose possible. Lizzie se sentait très nerveuse, elle avait pensé simuler une migraine pour éviter la rencontre avec Mr Darcy, mais elle se dit qu’elle n’était point une couarde et qu’il faudrait bien le revoir un jour ou l’autre alors autant se débarrasser de ce moment gênant et désagréable le plus tôt possible, et ainsi ne plus y penser.
Presque paralysée par l’appréhension, elle n’avait pas bougé de sa position près de la fenêtre où elle s’était installée dans l’attente de leurs invités. Le livre dans ses mains était seulement un prétexte, car elle avait lu et relu toujours les mêmes lignes tandis que ses pensées s’agitaient dans sa tête en prévision de ce qui l’attendait.
Prenant soin de rester cachée de la vue des nouveaux arrivés grâce aux rideaux, elle assista à une scène qui l’amusa. Les quatre occupants de la berline étaient à peine descendus que Miss Bingley dépassa son frère pour tenter de s’agripper – il n’y avait pas d’autre mot pour décrire sa tentative – au bras de Mr Darcy qui s’était précipité à saisir, comme par anticipation, celui d’une grande jeune fille blonde. Lizzie sourit intérieurement car il était évident que le jeune homme avait œuvré habilement afin d’éviter tout contact avec Caroline qui n’eut que le choix de s’accommoder du bras de son frère. Tandis que les invités approchaient l’entrée principale, Elizabeth songea avec humour à ce que le colonel lui avait dit à ce sujet, rien qu’avec cette petite scène elle comprit que Darcy n’arborait aucune inclination envers Miss Bingley, bien au contraire.
– Mr Bingley, Miss Bingley, Mr Darcy et Miss Darcy, annonça Mrs Hill, la femme de charge.
Lizzie vit les nouveaux arrivants entrer, Mr Bingley tout souriant, en tête avec sa sœur, la mine beaucoup moins joviale, à son bras, suivis par l’autre couple. Lizzie pensa que la grande jeune fille blonde ne pouvait être que la sœur de Darcy. Elle était un peu plus forte qu’Elizabeth et avait déjà la silhouette d’une femme, les mêmes yeux bleu saphir que son frère. Elle était jolie, toutefois elle n’était pas gratifiée d’une aussi grande beauté que le jeune homme. Elle avait l’air si timide par rapport à Lydia qui était à peu près du même âge. Elle se tenait près de son frère, recherchant à l’évidence sa protection. Elle était très bien habillée avec une robe rose poudré, raffinée et d’excellente facture, mais sans fioritures excessives. Lizzie pensa qu’elle avait très bon goût.
Bingley fit les présentations des Bennet aux Darcy, tandis que Lizzie ne put s’empêcher de chercher Mr Darcy du regard pour sonder son humeur. Elle s’attendait à y lire du dédain, voire du mépris, mais quelle ne fut pas sa surprise quand elle y vit de la gêne mêlée à… de la peine ? Pourtant, il esquissa un léger sourire en saluant. Ses yeux se posèrent brièvement sur elle. Il ne possédait pas la bonhommie de Charles, certes, mais il n’affichait plus cette attitude fière, hautaine et froide qu’il avait eue dans le Kent. Lizzie était stupéfaite qu’il pût être presque affable envers sa famille, après toutes les horreurs qu’elle lui avait dites, dont celles à propos de Mr Wickham et aussi de ses supposés engagements envers Miss de Bourgh et Miss Bingley, qui étaient fausses et injustes. Ce qui la frappa aussi ce fut la mauvaise mine du jeune homme, il avait des cernes autour des yeux et il lui semblait qu’il était amaigri comme en témoignaient ses joues creusées et sa redingote qui n’était pas aussi ajustée que d’habitude. Que lui était-il arrivé ? Avait-il été malade ?
Les invités s’installèrent provisoirement dans le salon en attendant le dîner. Miss Bingley s’empressa de s’asseoir à côté de Darcy qui s’était installé près de sa sœur, il était évident que les deux jeunes femmes recherchaient avidement sa compagnie, mais pas pour les mêmes raisons. Charles vint à côté de Jane. Lizzie, qui s’était levée de sa place près de la fenêtre et avait rejoint le reste de sa famille au moment des présentations, se retrouva assise en face des Darcy ce qui lui donna l’occasion de voir Caroline toute flatteuse minauder devant le grand brun, elle ne l’avait jamais vue aussi mielleuse auparavant. Il était clair qu’elle avait mis le cap sur le jeune homme qui restait de marbre à ses attentions.
– Mrs Bennet, j’espère que vous n’avez pas prévu de servir des huîtres, car Mr Darcy ne les aime point, dit Miss Bingley en s’adressant à son hôtesse, elle voulait montrer aux Bennet qu’elle connaissait parfaitement le gentleman, et à ce dernier qu’elle pouvait être très attentive à ses besoins comme le ferait une bonne épouse.
– Non, rassurez-vous, et il y aura trois services, dit fièrement Mrs Bennet, mais comme c’est amusant, car ma chère Lydia ne les aime pas non plus! s’exclama-t-elle, vous avez donc déjà un point commun, finit-elle en riant exagérément.
– Ah oui, elles sont si gluantes, beurk ! Ajouta Lydia d’un ton haut perché, en plissant les yeux et secouant les mains devant son visage.
Darcy rougit légèrement à cause des remarques des deux femmes, il n’aimait pas les huîtres, certes, mais encore moins être le centre des attentions et surtout en présence de personnes qu’il ne connaissait pas par-dessus tout, il détestait ce que Caroline Bingley voulait faussement impliquer en agissant ainsi, surtout devant Miss Elizabeth. Enfin, c’était impoli envers leur hôtesse et complétement superflu étant donné qu’un seul service comprenait toujours plusieurs plats servis en même temps.
– Eh bien espérons que ce soit le seul, dit sarcastiquement Mr Bennet.
Mais que voulait dire Mr Bennet, dont la remarque était à double sens ? se demanda Darcy en regardant un peu perplexe l’homme plus âgé, devait-il se sentir offensé ? car un père ne pouvait pas ainsi diriger l’offense envers sa propre fille.
– Oh, Mr Bennet, ce serait dommage si tel était le cas, mais je suis sûre que non, regardez comme ils ont tous deux de beaux traits respirant la noblesse, dit Mrs Bennet avec un large sourire.
– Il est vrai que Mr Darcy a vraiment de la parenté dans la noblesse, intervint Caroline qui défendait son territoire, tout en signalant de façon indirecte que les Bennet n’avaient aucun lien avec les nobles, oubliant au passage qu’elle non plus.
– Avez-vous fait un bon voyage de retour depuis le Kent, Miss Elizabeth ? demanda Darcy pour sauver la situation en changeant de sujet.
Il avait l’habitude de repérer les mères désireuses de le capturer pour leur progéniture et visiblement Mrs Bennet le destinait à sa benjamine. Pourquoi ? puisqu’il y avait d’autres sœurs non mariées et plus âgées, vraiment curieux se disait-il.
– Oui, merci Mr Darcy, et vous ? répondit Lizzie sur un ton doux en le remerciant aussi intérieurement, elle n’aurait jamais pensé pouvoir faire ça un jour !
– Oui très bien, je vous remercie.
– La voiture de Mr Darcy est tellement confortable, c’est tellement mieux que de voyager en poste ! Enfin j’imagine, car je n’ai jamais été voiturée ainsi, piqua Miss Bingley jalouse que Darcy prêtât attention à une autre femme qu’elle-même.
– Je pourrai maintenant donner un avis éclairé sur la question pour avoir expérimenté moi-même les deux types de transport, rétorqua Lizzie. Là où la voiture privée offre certainement plus de confort, la voiture de poste permet de faire des connaissances intéressantes.
– Et quel genre de connaissances intéressantes y avez-vous faites, éclairez-nous donc je vous prie, Miss Eliza ? demanda Caroline avec un malin plaisir pensant la faire se ridiculiser.
– J’ai rencontré un professeur qui enseigne à Cambridge avec lequel j’ai eu une discussion fort passionnante sur la philosophie.
– Connaissez-vous son nom, Miss Elizabeth ? peut-être était-ce l’un de mes enseignants, demanda Darcy avec intérêt.
– Mr Adamson.
– Ah, c’était l’un de mes préférés ! Il avait une façon de captiver son auditoire qui vous donnait envie d’écouter et d’en savoir toujours davantage, de vous questionner vous-même à la façon de Socrate, dit-il avec animation.
– Mr Joseph Adamson ? demanda Mr Bennet interloqué.
– Oui, c’est bien son nom, Darcy tourna la tête vers son hôte.
– Je l’ai connu aussi, il était alors étudiant en même temps que moi, dit Mr Bennet, un personnage très charismatique, en effet.
Miss Bingley fulminait dans son coin, car elle avait fourni, bien malgré elle, un bon sujet de conversation entre « son » Mr Darcy et les deux Bennet. Son désir d’éclipser Eliza de sa supériorité s’était retourné contre elle-même. Maintenant, les trois discutaient avec un plaisir évident de ce maudit professeur ! Elle s’intéressa donc à Miss Darcy, la flattant devant leurs hôtes sur ses accomplissements, mais là encore elle ne sut que révéler un intérêt commun entre l’insipide Mary, la troisième fille Bennet, et Georgiana qui entamèrent un dialogue sur la musique.
Jane et Charles discutaient entre eux, insouciants du monde qui les entourait. Lydia et Kitty se chamaillaient comme à leur habitude et Mrs Bennet prenait le parti de Lydia comme toujours. Encore une fois Caroline était exclue de toute conversation.
Le repas fut annoncé par Mrs Hill et tout le monde se déplaça vers la salle à manger. Mrs Bennet installa Mr Darcy à la place d’honneur entre Lydia et elle-même et Mr Bingley de l’autre côté avec Jane, Lizzie, Miss Darcy et Mary à la droite de son père qui était à l’autre extrémité de la table avec Miss Bingley à la gauche de celui-ci, Caroline Bingley avait donc Kitty pour voisine. Mrs Bennet avait manœuvré pour éloigner Miss Bingley de Mr Darcy, tout en le plaçant à côté de sa fille préférée dans l’espoir d’un futur mariage. Avec tous les officiers maintenant partis, l’ami de Mr Bingley était un excellent objectif pour sa favorite. Elle savait bien que Charles mettrait ses filles sur le chemin de riches gentlemen.
Miss Bingley était très mécontente de sa place, même si elle était à côté du maître de céans, mais à sa gauche, et surtout, elle était complètement isolée de Darcy.
Lydia, qui ne pensait qu’aux amusements qu’offraient la vie, questionna l’invité d’honneur.
– Donnez-vous souvent des bals, Mr Darcy ?
– Non, je ne peux pas sans hôtesse.
– N’avez-vous donc pas une tante ou une proche parente, votre sœur qui pourrait tenir ce rôle ? demanda Mrs Bennet.
– Oui, mais… je, enfin… bredouilla le jeune homme gêné par la question.
– Darcy n’aime pas les mondanités, dit Charles pour secourir son ami qu’il voyait en difficulté.
– Vous n’aimez pas les bals ! s’exclama Lydia bruyamment, quelle plaisanterie ! finit-elle en ricanant.
– Je n’imagine pas ma vie sans bals, dit Kitty.
– Les bals sont des passe-temps futiles qui ne servent qu’à flatter la vanité des plus frivoles qui y viennent pour se pavaner, dit Mary avec suffisance.
– Oh taisez-vous Mary ! Je suis sûre que Miss Darcy aime aussi les bals, n’est-ce pas ? demanda Lydia.
– Eh bien… je… je ne sais pas, bafouilla Georgiana avant de baisser les yeux.
– Comment donc, vous ne savez pas ! s’étonna Mrs Bennet.
– En fait, ma sœur n’est pas encore sortie en société, expliqua Darcy.
– Pas possible ! comme c’est drôle ! dit Lydia en ricanant encore.
– Lydia ! réprimandèrent Jane et Lizzie en même temps sous les yeux ahuris de Darcy et de Georgiana qui se mit à rougir.
Lizzie était mortifiée par l’attitude de sa famille – exceptée celle de Jane -, même par celle de son père qui ne réagissait pas à l’inconvenance de l’attitude de ses plus jeunes sœurs et de sa mère envers deux invités dont ils venaient à peine de faire la connaissance. Qu’allaient-ils penser d’eux ? En particulier Mr Darcy qui avait méprisé sa petite condition. Elle n’avait pas besoin de susciter davantage de dédain de sa part.
– Ah, il faut excuser la spontanéité de ma petite chérie, dit Mrs Bennet en souriant. Elle est si vivante et si populaire auprès de la gente masculine, vous savez. Jane est la beauté de la famille, mais Lydia promet d’être au moins aussi belle qu’elle, elle me ressemble beaucoup lorsque j’avais son âge. Il ne faut pas vous fier à l’apparence de Lizzie qui est moins jolie, et qui tient du côté de son père, ainsi que de ses attitudes de sauvageonne à courir la campagne ! finit-elle en jetant un regard mauvais à Lizzie.
Comment Lizzie pourrait se sentir encore plus humiliée ? Elle entendit Caroline Bingley pouffer de rire derrière sa serviette en la regardant pour se moquer d’elle. Elle allait répondre, tout comme son père qui ne supportait pas qu’on se moquât ainsi de sa fille préférée, lorsqu’un soutien vint d’une personne complètement inattendue.
– Permettez-moi de vous dire, Mrs Bennet, que Miss Elizabeth est l’une des plus belles femmes de ma connaissance … tout comme ses sœurs.
C’était Darcy qui s’était exprimé sur la question tout en pensant « pour moi la plus belle de toutes », mais il ne pouvait le dire de peur d’affirmer une préférence trop marquée envers la jeune femme qui de surcroît était fiancée à son cousin, même si c’était encore un secret pour tous. C’était déjà hardi de dire cela et il s’en étonna lui-même, mais entendre dénigrer ainsi la femme qu’il aimait fut au-dessus de ses forces.
Lizzie était stupéfaite, car passer de « tout juste passable » à l’une des plus belles, voilà bien un sacré progrès ! Mr Darcy était-il donc vraiment sérieux lorsqu’il avait déclaré l’admirer ?
Miss Bingley découvrit, avec horreur, que Miss Eliza était une rivale, car jamais Darcy ne s’était prononcé de la sorte, et en public, au sujet de la beauté d’une femme. Ses relations avec la sœur de Jane n’avaient jamais été très cordiales, surtout depuis les manigances que Caroline avait perpétrées contre le mariage de son frère avec Jane, mais là ce serait encore pire.
Maintenant Caroline Bingley détestait Elizabeth Bennet.
Georgiana donna un coup d’œil à son frère. Elle aussi savait que jamais son frère ne ferait un tel commentaire, d’ailleurs, il n’avait jamais loué la beauté d’aucune femme, mais … hmmm… Il avait fait la connaissance de Miss Elizabeth dans le Kent, et c’était là qu’il était tombé amoureux. Se pourrait-il … ?
Mr Bennet avait aussi son avis sur les paroles du gentleman qu’il exprima tout haut et avec un humour bien personnel.
– Prenez garde Mr Darcy, de ne point trop flatter mes filles ou vous allez susciter des attentes chez mon épouse et vous risqueriez de vous retrouver engagé à l’une d’elles avant la fin de la journée. Mais si le cœur vous en dit, et que votre goût se porte sur la sottise et la frivolité, je vous conseillerais de choisir Lydia ou Catherine, si vous préférez la morale et la musique, Mary ferait très bien votre affaire, enfin si aucune de toutes ces qualités ne vous inspirait, que vous ayez une inclination vers un esprit aiguisé et que vous n’ayez pas peur des défis, c’est ma Lizzie qui vous conviendrait le mieux.
– Oh, Mr Bennet, que dites-vous là ! s’exclama un peu trop fortement son épouse.
Miss Bingley ne cacha pas une joie victorieuse en regardant Elizabeth, tandis que le reste de la tablée se tut de surprise. Darcy fut sauvé de l’embarras d’une réponse par l’arrivée du dernier plat du premier service encore tout fumant.
Lizzie était consternée et affligée, toute sa famille – toujours exceptée Jane – aurait-elle décidé de se ridiculiser ce soir ? Elle baissa la tête de honte, n’osant pas regarder Darcy, s’attendant à voir en lui du mépris et le triomphe d’avoir eu raison lorsqu’il avait déclaré que de se marier dans sa famille serait une dégradation. Il devait être soulagé d’avoir échappé à une telle infortune.
Les convives commencèrent à manger, Lydia et Kitty se disputaient au sujet de la propriété d’un ruban jaune. Lizzie échangea avec son père un coup d’œil qui exprima son inconfort, mais il ne réagit toujours pas à l’inconvenance de ses sœurs. Jane et Charles échangeaient des regards énamourés. Les autres dégustaient le mets qu’ils avaient choisi en silence jusqu’à ce que…
– Votre consommé est absolument délicieux, Mrs Bennet, dit Darcy avec sincérité.
– Oh, merci Mr Darcy ! vous êtes bien aimable, dit la maîtresse des lieux, flattée, mais je suis sûre qu’un homme riche comme vous l’êtes doit être habitué aux plats les plus raffinés et que vous devez avoir au moins un chef cuisinier français.
– Détrompez-vous, madame. La cuisinière qui s’occupe de nos repas en ville est une pure Anglaise et le cuisinier qui officie à Pemberley a des origines italiennes de par sa mère tous deux seraient ravis et honorés d’avoir la recette d’une telle merveille.
– Je serais heureuse de vous obliger, Mr Darcy.
Mrs Bennet souriait en se tenant bien droite de fierté, elle savait que sa table était connue pour être la meilleure du voisinage, mais être louangée ainsi par un tel gentleman, si riche et si illustre était source d’une grande joie.
Quant à Lizzie, elle faillit s’étouffer sur la cuillerée qu’elle venait de porter à sa bouche en entendant Mr Darcy complimenter sa mère. De plus, elle était étonnée que cet homme, qu’elle pensait si dédaigneux de ceux qui lui étaient inférieurs, sût ce genre de détails à propos de son personnel. Elle-même ignorait quelles étaient les origines de Mrs Hughes, leur cuisinière. Elle se demanda s’il n’était pas le gentil frère jumeau de l’homme qu’elle avait connu dans le Kent. Pourquoi, après qu’elle l’avait rejeté aussi durement et en ayant observé le comportement pour le moins « rustique » – pour ne pas dire pire – de sa famille, était-il si… aimable avec eux ? Elle avait même du mal à associer cet adjectif avec l’homme. À moins que ça ne fût pour le bien de son ami Charles, quoi qu’il en fût c’était un bel effort de sa part. Elle s’adressa ensuite à sa voisine de gauche.
– Miss Darcy, je crois savoir que vous aimez la musique.
– En effet, répondit simplement la jeune fille intimidée.
– Miss Darcy est une jeune fille très talentueuse et des plus accomplies, intervint Caroline Bingley d’une voix doucereuse mettant mal à l’aise Georgiana.
– Quel instrument préférez-vous ? demanda Lizzie qui avait remarqué la gêne de sa voisine.
– Le pianoforte.
– J’en joue aussi, mais plutôt mal, ma foi.
– Pourtant, Fitzwilliam m’a dit qu’il avait eu grand plaisir à vous écouter, déclara-t-elle avant de rougir en se demandant si elle n’en avait point trop dit.
– Fitzwilliam ? demanda Lizzie tout en supposant qu’il s’agissait du nom de baptême de Mr Darcy, mais elle trouvait étrange qu’il correspondît aussi au nom de famille de Richard.
– C’est le prénom de Mr Darcy qui a été choisi en l’honneur de sa famille maternelle, répondit Caroline avec supériorité pour connaître un détail qui prouvait son degré d’intimité avec les Darcy.
– Votre frère a dû exagérer, répondit Lizzie à Geogiana, surprise de sa révélation.
– En tant que gentleman, Mr Darcy a dû enjoliver les choses, car il est toute gentillesse et indulgence, dit Caroline d’un sourire avec une implication cachée que Lizzie comprit parfaitement.
– Oh, non ! Fitzwilliam dit toujours la vérité et ne pratique pas la flatterie, répondit Georgiana avec sentiment.
« C’est le moins que l’on puisse dire », pensa Lizzie en songeant à la proposition de mariage du gentleman en question, elle jeta un œil dans sa direction, il parlait avec Charles. Cependant, elle pouvait voir dans ces mots l’amour et l’admiration que portait Miss Darcy envers son frère, mais aussi dans ses yeux. Elle était aussi ravie de voir qu’elle n’était pas la seule à ne pas apprécier Miss Bingley. Elle n’eut pas l’occasion de méditer longtemps sur le sujet, car elle vit Georgiana sursauter et se décomposer à la prononciation d’un nom que venait de citer un peu trop fortement Lydia qui parlait à sa mère avec emportement.
– Tous les officiers sont à Brighton, notamment le capitaine Denny et le lieutenant Wickham, et je veux y aller aussi ! J’ai déjà perdu deux semaines à cause du mariage de Jane et de Mr Bingley ! s’exclama-t-elle avec pétulance. Puisque Harriet Harrington et sa famille vont à Newhaven dans huit jours et qu’ils nous ont proposé de m’emmener et de me déposer chez les Foster, je ne vois pas pourquoi je n’irais pas ! Je veux y fêter mon anniversaire !
– Mais vous irez ma petite chérie, nous convaincrons votre père, vous verrez, répondit Mrs Bennet.
Lizzie vit le bref regard échangé par sa voisine et son frère, celui de Mr Darcy s’était brusquement assombri, ses mâchoires se serrèrent brièvement et il observait maintenant sa sœur avec une inquiétude palpable. Quant à celle-ci, elle était devenue blême et sa main droite trembla sur sa cuillère avant qu’elle ne la reposât dans son assiette sans même en avoir consommé le contenu. Elle était visiblement en détresse et Lizzie soupçonna qu’il y avait quelque histoire là-dessous. Elle se souvint de la remarque du colonel Fitzwilliam : « Wickham est un scélérat de la pire espèce habillé de charme et de tromperie, il a fait beaucoup de torts aux Darcy. » Elizabeth se demanda ce qu’il avait fait de plus que ce qu’elle savait déjà, cela concernait-il directement Miss Darcy ? Lizzie pensait que cette réaction était trop forte pour que ce soit uniquement à cause de querelles d’héritage. D’autant plus qu’en général les hommes n’en parlaient pas aux femmes, encore moins aux jeune filles, alors que cela cachait-il ? Elle était plus sûre que jamais que ce Wickham était effectivement quelqu’un de dangereux. Elle décida rapidement de détourner le sujet de cette conversation en s’adressant à sa petite sœur avant que quelqu’un d’autre ne puisse noter la gêne de la jeune Darcy.
– Lydia, en parlant d’Harriet Harrington, avez-vous terminé le roman qu’elle vous a prêté ? Est-il intéressant ?
– Mr Fordyce nous dit au sujet des livres qu’« il semble y en avoir très peu, à la manière d’un roman, que vous pouvez lire en toute sécurité, et encore moins que vous puissiez lire avec avantage.» (1) sermonna Mary qui ne lisait que des ouvrages les plus convenables destinés aux jeunes filles et notamment jamais de romans.
– Oh, Mary, épargnez-nous donc vos sermons insipides et incessants ! rétorqua Lydia en levant les yeux au ciel.
Habituellement Lydia ne prêtait jamais trop d’attention aux remarques de Mary, mais elle avait justement choisi ce soir pour se chamailler au sujet de la bonne attitude à adopter en public. L’une pensant que citer des leçons de moral devant des invités était ennuyeux et grossier, l’autre qu’une jeune fille digne de ce nom devait se montrer réservée et discrète, ne voyant pas l’ironie dans son propre comportement. Lydia en oublia de répondre à la question de Lizzie, mais au moins les sujets de Brighton et du lieutenant Wickham avaient ainsi été écartés, même si le manque de bienséance des deux sœurs avait montré un nouvel aspect.
O&P
Après le repas, Mr Bennet offrit un peu de répit aux deux autres gentlemen dans son havre de paix qu’était son bureau, où il leur servit un verre de vin de Porto. Ils parlèrent de l’actualité avec la nouvelle menace de Napoléon qui planait sur l’Europe et des plantations qu’ils avaient réalisées sur leur domaine respectif.
– Pratiquez-vous la rotation des cultures (2) ? demanda Darcy à son hôte.
– Oui, grâce à ma fille Elizabeth qui m’a convaincu de m’y mettre après qu’elle a lu le livre de Wight.
– Miss Elizabeth a lu un livre sur l’élevage et la culture !? s’étonna Bingley contrairement à Darcy qui ne voyait là qu’une preuve supplémentaire de la personnalité atypique de la jeune femme.
– Incroyable, n’est-ce pas ? répondit le père avec un mélange de fierté et de provocation. Elizabeth est la plus intelligente et la plus instruite de mes filles.
Avant de rejoindre les femmes, Darcy demanda à parler à Mr Bennet en privé.
– En parlant de vos filles, dit Darcy avant de se racler la gorge de gêne.
– Ah ne vous formalisez pas sur ce que j’ai dit, jeune homme, l’interrompit Mr Bennet, je plaisantais bien sûr !
– Je ne faisais pas allusion à cela… mais à ce que j’ai entendu au sujet de Brighton, précisa Darcy mal à l’aise.
– Ah ! oui, Lydia a été invitée par l’épouse du colonel Forster qui commande la milice qui est restée ici durant cet hiver et qui vient de partir pour Brighton. Et avec votre sœur vous devez connaître les caprices et folies des enfants de son âge, elle fait tout pour y aller. Veuillez excuser son comportement à ce sujet, le vieil homme observa le brun avec attention se demandant bien où il voulait en venir, il pensa d’abord qu’il avait été choqué de l’attitude inconvenable de Lydia.
– Vous vous méprenez, Mr Bennet, je souhaiterais simplement vous mettre en garde, il fit une pause. Je ne voudrais pas m’immiscer dans votre vie de famille, mais laissez-moi vous avertir que se cache dans les rangs de la milice une canaille de la pire espèce, dit Darcy en triturant nerveusement sa chevalière.
– Pouvez-vous être plus précis, Mr Darcy ? demanda Mr Bennet sérieusement en arquant son sourcil gauche.
– Je connais le lieutenant Wickham depuis mon enfance, et j’ai malheureusement été témoin de nombre de ses méfaits.
– Ah, je sais, certains marchands se sont plaints de notes restées impayées après son départ, mais je ne vois toujours pas ce que cela a à voir avec ma fille ?
– C’est aussi un chasseur de fortune et un séducteur pour ne pas dire… libertin.
– Lydia ne possède pas de dot conséquente, de plus elle sera chaperonnée par le colonel Foster et sa femme, elle ne risque donc rien.
– Malheureusement, Mr Wickham ne laisse pas que des dettes derrière lui… mais aussi… des bâtards, le jeune homme craignait d’offenser son aîné alors il précisa, c’est un coureur de jupons, je connais plusieurs jeunes femmes, depuis la femme de chambre jusqu’à des filles de bonne famille, qui s’y sont laissées prendre.
– Vous me conseillez donc de ne pas accepter l’invitation des Foster ?
– En effet, si je puis me permettre, Mr Bennet.
– Très bien, j’y réfléchirai, merci de votre conseil, Mr Darcy.
– À votre service.
Cela avait coûté beaucoup à Darcy de se mêler d’affaires qui ne le regardaient pas. Mais si Miss Lydia, qui avait l’air très frivole, vu sa façon de parler des chiffons et des militaires, venait à se laisser séduire par Wickham, elle ferait porter le déshonneur à toute sa famille, y compris Miss Elizabeth qui ne pourrait donc plus se marier avec Richard. Il était malheureux de ne pas être l’élu de son cœur, mais si elle devait perdre ses chances de connaître le bonheur avec son cousin et lui avec elle, il en serait encore plus misérable.
Globalement Darcy avait été atterré par le comportement de la famille Bennet à l’exception des deux filles aînées. En effet, après avoir fait la connaissance des Gardiner, de Miss Bennet et de Miss Elizabeth, il s’était imaginé que tous les Bennet devaient leur ressembler. Il se souvint que Charles lui avait dit que Mrs Bennet était juste un peu trop enthousiaste, c’était un euphémisme ! Quel manque de convenances de la part de la mère et des deux plus jeunes filles, à la limite parfois de la vulgarité. Miss Mary avait montré une tendance à être imbue d’elle-même. Et le père qui observait tout cela avec amusement, dérision et sarcasme. Comment un homme, un gentleman, pouvait manquer à ce point à ses devoirs de père et d’époux en laissant faire ? Même en tant que seigneur du domaine il se montrait indolent : si sa fille ne lui avait pas conseillé la rotation des cultures, il en serait encore aux techniques pratiquées au Moyen-Âge. Seules les deux aînées avaient réagi pour réprimander leur jeune sœur, c’était à se demander comment Miss Bennet et Miss Elizabeth pouvaient faire partie de cette famille ?
Pourtant, il avait voulu se montrer courtois, poli, et même bienveillant en parlant de Wickham à son hôte. Il voulait devenir un meilleur homme, même si c’était difficile. Et puis, il se rappela l’attitude déplorable de Lady Catherine. Le manque de politesse de sa tante envers ses invités avait été tout aussi vulgaire que le manque de bienséance des Bennet. Tout le monde avait un proche dont il n’avait pas de quoi se montrer fier. Lui-même n’avait pas eu une attitude exemplaire, il s’en faut. Mais que penseront les Fitzwilliam de savoir Richard vouloir se lier à cette famille, surtout Lady Claire, qui était si attachée à son rang encore davantage que son époux, le comte de Matlock ? Il craignait que Miss Elizabeth rencontrât des difficultés à se faire accepter par eux.
Après le retour des gentlemen au salon, la fin de la journée se déroula sans incident majeur. Elizabeth et Mary eurent l’occasion de parler de musique avec Georgiana sous les yeux attentifs de Mr Darcy. Les jeunes femmes avaient l’air de bien s’entendre, la jeune fille était visiblement à l’aise avec elles et il s’en réjouit, car même si Miss Elizabeth ne pourrait pas devenir la belle-sœur de Georgie, elle pourrait faire partie de sa vie et la guider à l’occasion en tant que cousine. Il fut agréablement surpris lorsque sa sœur lui demanda si elle pouvait accepter l’invitation de Mary à venir pratiquer du pianoforte avec elle pour une pièce à quatre mains. Le Darcy réformé qu’il était devenu ne put refuser devant son enthousiasme, même s’il était un peu réticent à cause du comportement de certains Bennet, il l’accompagnerait pour veiller sur elle. « Uniquement pour cela », se dit-il, tandis que dans son cœur il savait qu’il voulait avoir plus d’occasions pour voir Miss Elizabeth.
O&P
Le soir venu, alors que Jane était déjà endormie, Lizzie se glissa sans faire de bruit dans son lit, puis elle repensa à l’attitude de Mr Darcy : quel changement ! Il avait même agréé l’invitation faite à sa sœur, sans mépris. Elle revit aussi Caroline qui se comportait déjà comme la future Mrs Darcy, et pour une raison qui lui était inconnue, Lizzie s’en irrita, elle n’aimait pas voir Caroline Bingley faire les yeux doux au nouveau Mr Darcy.
Notes :
(1) D’après ma traduction d’un extrait des ‘Sermons aux jeunes femmes’, du Dr James Fordyce, 1766 : « there seem to be very few, in the style of a Novel, that you can read with safety, and yet fewer that you can read with advantage. »-Sermons to Young Women.
(2) Rotation des cultures : technique agricole qui alterne les cultures au fil des années sur une même parcelle. Elle permet d’augmenter la fertilité des sols et les rendements. Le mot de « rotation » a été importé de l’anglais où il apparaît en 1778 dans Present State of Husbandry in Scotland, d’Andrew Wight.
Merci pour cette histoire magnifique, j’apprécie vraiment votre plume!
Merci beaucoup Puma pour votre commentaire!
Cela me motive à continuer;-)