Chapitre 5: la tempête

La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.

O&P

Un grand merci à Lenniee pour la relecture et pour sa contribution à l’amélioration de ce chapitre.


La sonate de l’amour

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Rien n’est plus proche de l’absolu qu’un amour en train de naître.

– Jean D’Ormesson –

Chapitre 5 : la tempête

C’était encore une belle matinée et Lizzie, toujours la première à se lever au presbytère, alla faire sa balade avant de prendre le déjeuner avec la famille. Ses promenades lui étaient bénéfiques, car non seulement elle pouvait se dégourdir les jambes en déversant son trop plein d’énergie, mais elles lui permettaient de se retrouver seule afin de pouvoir réfléchir tranquillement.

Les jardins et surtout le parc plus sauvage de Rosings étaient vraiment magnifiques. La nature s’éveillait de plus en plus, laissant voir des changements quasiment chaque jour. Le vert gagnait du terrain sur le marron et la grisaille de l’hiver. Des touches de couleurs étaient de plus en plus présentes : le jaune lumineux des narcisses ou encore le rouge profond des tulipes. C’était comme si un peintre était en train de constituer son tableau, ajoutant quotidiennement des détails chatoyants supplémentaires. Le tout était embelli par les oiseaux qui célébraient le retour des beaux jours en composant une symphonie joyeuse, une véritable ode au printemps.

Lizzie marchait le long de l’une des allées qui bordaient le bois. Elle avait cueilli une tulipe qu’elle faisait tournoyer entre ses doigts. Elle pensait aux deux neveux de Lady Catherine, essayant d’esquisser leur caractère comme à son habitude lorsqu’elle rencontrait de nouvelles personnes.

Pour l’un d’eux c’était assez aisé, car le colonel Fitzwilliam avait tout du parfait gentleman : charmant, avenant, toujours très prévenant et attentif à elle et ses besoins. Il pouvait même à l’occasion la soutenir face à sa tante ou à son cousin. Elizabeth l’appréciait beaucoup et elle se sentait particulièrement à l’aise avec lui. Pourtant, elle sentait qu’il avait enfoui en lui des moments très pénibles qu’il avait subis lors des batailles contre Napoléon. Il n’avait pas la vie oisive et facile de son frère aîné, le Vicomte Milton ou de son cousin, Mr Darcy, et cela le valorisait à ses yeux.

Quant à Mr Darcy, elle ressentait toujours de l’irritation. Il avait eu le malheur de blesser sa vanité déjà suffisamment écorchée par sa mère. Mais quel homme, se prétendant être un gentleman, pourrait dénigrer ainsi une femme dont il venait à peine de faire la connaissance et en n’ayant pas échangé un seul mot avec elle ? Il montrait un tel dédain envers ceux qui étaient en dessous de son rang que cela ne pouvait pas être le fruit de la timidité, comme il l’avait argué. Et puis son attitude envers Mr Wickham, c’était tout simplement inexcusable. Mr Darcy était un arrogant personnage, snob et capable de vilenie. Et puis ces regards si intenses dont il la ciblait, c’était vraiment impoli, et scruter ainsi quelqu’un pour rechercher ses moindres défauts, indélicat.

En parlant de ce dernier, quelle ne fut pas son infortune de justement le croiser à cet instant. Il chevauchait son beau destrier, dont il descendit en apercevant la jeune femme. Il s’approcha d’elle et la salua d’un signe de tête en touchant le bord de son haut-de-forme.

– Miss Bennet.

– Mr Darcy, Pégase, répondit Lizzie avec une petite révérence suivie d’une caresse sur le museau de l’étalon.

– Comment vous portez-vous ce matin ? demanda-t-il impassiblement.

– Fort bien, je vous remercie. Et vous-même ?

– Très bien, merci. Vous êtes en chemin pour votre promenade matinale ?

– Oui, j’emprunte ce chemin quotidiennement, précisa-t-elle afin qu’il pût l’éviter à l’avenir.

– Puis-je vous tenir compagnie et faire quelques pas avec vous ?

– Euh… oui, bien sûr, répondit-elle poliment tout en pensant « quelle poisse ! »

Que pouvait-elle faire d’autre que d’accepter sans paraître impolie ? Lizzie se remit donc en route avec Darcy à ses côtés et Pégase que son propriétaire menait par la bride. Un silence maladroit s’installa pendant quelques minutes, mais cette fois la jeune femme décida qu’elle ne lui faciliterait pas la tâche en choisissant un sujet de conversation. Ce fut donc Darcy qui finit par rompre le silence.

– Votre père vous a enseigné les sciences avez-vous dit, laquelle préférez-vous ?

– J’avoue avoir un faible pour l’astronomie. « Que dites-vous de cela Mr Darcy ? » pensa-t-elle croyant qu’il désapprouverait comme tous les hommes qu’elle avait pu connaître, excepté son père bien sûr.

– L’astronomie… quelle discipline fascinante, dit-il admiratif, avez-vous déjà pu observer le ciel avec une lunette ?

– Non, malheureusement, mais ce serait mon rêve d’en acquérir une, elle le regarda quelque peu étonnée de sa réponse et voulut pousser un peu plus loin sa provocation, alors elle enchaîna, j’ai lu dans l’une des publications de la Royal Society (1) que l’on pouvait maintenant observer plusieurs anneaux autour de Saturne avec une lunette, et cela me plairait de les voir.

– Vous lisez les articles de la Royal Society ? demanda-t-il stupéfait.

– Vous êtes surpris qu’une femme le fasse, Mr Darcy ? demanda-t-elle en levant son sourcil droit en défiance, mais trop heureuse d’avoir réussi à l’appâter.

– Avouez que c’est inhabituel.

– Vous êtes bien comme tous ceux de votre genre à penser qu’une femme ne puisse s’intéresser à autre chose que la broderie ou la musique, répondit-elle vivement et sur la défensive.

Mais cela ne rebutait pas le gentleman, bien au contraire, car c’était la première fois qu’il rencontrait une femme qui s’intéressait à autre chose que les passe-temps habituels mais futiles, qui pourtant étaient considérés comme des accomplissements parmi ses pairs. Et encore plus remarquable, elle n’avait pas peur de lui déplaire en le déclarant. Elle était si rafraîchissante par rapport aux ladies de la bonne société londonienne qui ne faisaient que prétendre des sentiments qu’elles n’éprouvaient pas, adopter les bonnes attitudes, minauder en battant des cils et de leur éventail… Bref tout pour le charmer, l’attraper dans leur toile tissée de tromperies et de fausses apparences.

– Vous vous méprenez, madame. Je trouve que c’est singulier, mais je ne le réprouve pas.

Lizzie était déconcertée par sa réponse qui, elle non plus, n’était pas ordinaire. Elle était tellement coutumière des critiques de sa mère à ce sujet qui lui affirmait que jamais un homme, et encore moins parmi les bien nés, n’approuverait ce genre de savoir chez une personne du sexe dit faible. De plus, lorsqu’elle était enfant et adolescente, ses compagnons de jeux se moquaient, même si c’était plus ou moins gentiment, de ses connaissances. Elle se souvenait encore comment Jonathan Lucas, l’un des frères de Charlotte, l’avait ridiculisée lorsqu’elle avait voulu partager sa découverte concernant le système solaire. Il avait ri d’elle devant tous leurs amis en disant qu’elle était un garçon manqué et qu’une fille ne pouvait s’intéresser aux étoiles que dans un poème ou qu’en les brodant sur de la mousseline ou de la soie. Elle l’avait rossé pour ça, car elle n’hésitait pas à se servir de ses mains pour défendre ses opinions à cette époque depuis évidemment, elle avait appris à se comporter en lady et elle avait troqué ses poings contre des mots.

Elle réalisa que c’était à son tour de parler et ne trouvant rien à lui reprocher sur sa réponse elle décida qu’il était temps de terminer sa promenade.

– Je dois rentrer pour être à l’heure pour le déjeuner, bonne journée Mr Darcy, dit-elle en faisant une petite révérence avant de faire demi-tour et partir d’un pas rapide.

– Bonne journée Miss Bennet, répondit-il en inclinant la tête, tout en sachant qu’elle n’aurait pas vu son geste.

Il la regarda s’éloigner, surpris de sa brusquerie à prendre congé. Elle avait fait volte-face sans même lui laisser l’opportunité de lui proposer de la raccompagner, tout au moins sur une partie du chemin afin de rester discret. Mais quelle mouche l’avait donc piquée ? Cette femme ne cessait de le surprendre.

O&P

Le lendemain, malgré un vent qui se levait et une contestation de la part du pasteur à laisser sa cousine errer dans la nature alors qu’une tempête allait probablement éclater dans l’heure, Lizzie n’en fit qu’à sa tête et sortit pour une nouvelle promenade. Elle avait préféré braver les éléments que de rester une journée entière cloîtrée avec Mr Collins qui, lui, ne sortirait pas par un temps pareil, à moins d’être convoqué par Lady Catherine, bien entendu.

Elle emprunta exactement le même chemin, sûre qu’ainsi elle ne croiserait pas le jeune homme taciturne. Mais quelle ne fut pas sa surprise de le rencontrer à nouveau, à croire qu’il avait le sens de l’autopunition en s’imposant la compagnie d’une femme qu’il trouvait tout juste passable, doublée d’une chasseuse de fortune qui plus est. Il avait même l’air de l’attendre, à sa façon d’être appuyé contre le tronc d’un arbre, en tenant Pégase par les rênes. Mais cela ne devait tout bonnement pas être possible.

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Darcy était sorti deux heures plus tôt avec le régisseur pour visiter un champ qui avait un problème de drainage. Une fois le problème supervisé, il laissa Mr Blake rentrer seul et bifurqua pour se diriger vers le sentier sur lequel il avait rencontré Miss Elizabeth la veille. En fait, il pensait qu’elle avait probablement décidé de rester au chaud ce matin à cause du mauvais temps, mais juste au cas où elle se serait aventurée dehors, une fois arrivé à une croisée des chemins il fit une halte, un sentier menait directement à Rosings, l’autre était celui par lequel elle était arrivée le jour d’avant, et comme il était encore un peu trop tôt, il décida de démonter de son cheval pour l’attendre quelques minutes. Il fut tout de même un peu surpris de la voir si loin du presbytère par ce temps, elle n’était vraiment pas une petite nature. Quelle vitalité elle dégageait, elle était pleine de santé, élevée au grand air de la campagne. Miss Elizabeth était comme une fleur des champs, belle, sauvage, indomptable et en même temps si délicate. Tout comme la veille, il vint la saluer et remarqua son joli teint rosi et ses yeux rendus encore plus brillants par l’exercice, mais il était inquiet pour son bien-être.

– Je pense qu’une tempête se prépare, Miss Bennet, laissez-moi vous raccompagner.

Elle acquiesça, résignée. Aujourd’hui, les cieux sous toutes ses formes avaient décidé de jouer contre elle. Choisir entre son propre cousin et Mr Darcy, c’était comme choisir entre la peste et le choléra, alors autant rentrer et se mettre à l’abri. Mais déjà la pluie commençait à tomber. Darcy défit son manteau pour le placer sur les épaules de la jeune femme pour la protéger. Il était préoccupé car ils se trouvaient à plus d’une demi-heure de marche rapide du presbytère ou même du manoir et il ne pouvait pas la raccompagner sur son cheval sans risquer de la compromettre. Les règles de la bienséance étaient très strictes et avec Mr Collins comme témoin, autant se rendre tout de suite à l’autel.

Après quelques minutes, le vent tourna en bourrasques, l’averse se transforma en giboulée et la température chuta brusquement. Maintenant, même en montant à cheval, ils risquaient d’attraper la mort avant d’arriver à destination.

– Miss Bennet, il faut que nous nous mettions à l’abri au plus vite. Je connais une petite cabane de chasse près d’ici, me faîtes-vous confiance ?

Il était déjà trempé jusqu’aux os, de petits grêlons s’agglutinaient comme des perles sur ses larges épaules et le rebord de son chapeau. Son expression était alarmée et ses yeux s’étaient assombris d’inquiétude, lui qui avait toujours un visage stoïque. Lizzie pensa qu’elle ne risquait pas grand-chose et vu la situation, elle n’avait de toute façon guère le choix.

– Oui, répondit-elle simplement en hochant la tête, le temps n’était alors pas aux longs discours.

– Êtes-vous bonne cavalière ?

– Non, je ne monte presque jamais.

– Pour gagner du temps je vais vous hisser sur mon cheval et monter derrière vous pour vous sécuriser.

– D’accord, Lizzie était très embarrassée, mais à situation d’urgence, mesures exceptionnelles.

– Êtes-vous prête ? demanda-t-il en l’interrogeant en même temps du regard.

– Oui, répondit-elle résignée en hochant la tête presque timidement.

Darcy glissa ses grandes mains sous le manteau qu’il venait de lui prêter et enserra sa petite taille, elles en firent quasiment le tour, puis il la haussa sur Pégase. Rapidement il s’installa derrière elle, il sécurisa la position de la demoiselle entre ses bras qui tenaient les rênes. Il cria « Accrochez-vous à moi ! » avant de donner un petit coup de cravache à son cheval pour le lancer au galop. Lizzie dut alors s’agripper au torse du jeune homme pour ne pas tomber, faisant glisser le manteau qu’il lui avait prêté et qui entraîna son bonnet, celui-ci tomba sur ses épaules juste retenu par ses rubans. Durant le trajet qui dura quelques minutes, nul ne dit un mot, mais les émotions étaient fortes.

Pour Elizabeth, c’était un mélange contradictoire. D’une part, elle savait que cette position était contre la bienséance, mais elle n’avait pas l’habitude de monter à cheval et jamais au galop, c’était donc plus sûr pourtant elle était mortifiée de se retrouver ainsi d’autant plus avec un homme qu’elle détestait. D’autre part, elle se sentait troublée, car elle n’avait jamais été tenue de cette intime manière par un homme autre que son père. Elle sentait les cuisses de Mr Darcy se contracter sous l’effort tout contre sa jambe droite et jusqu’à ses fesses. Sa joue et son oreille droite étaient plaquées contre sa poitrine robuste et virile. Elle sentait la chaleur de son corps passer à travers ses vêtements et son odeur qui était agréable et troublante recelait une essence particulière qu’elle n’avait encore jamais perçue. Une sensation de picotements bizarrement agréable s’installa dans son ventre et une chaleur l’inonda malgré la grêle et le vent froid. C’était perturbant. C’était comme si la tempête était aussi à l’intérieur de son corps et elle luttait contre elle comme un phénomène qui pouvait la mettre en danger. Elle entendait les battements rapides du cœur de Mr Darcy tambouriner, faisant écho au bruit sourd des sabots de Pégase sur le sol déjà boueux.

Badaboum, Badaboum, Badaboum !

Eh oui, Mr Darcy avait bien un cœur et il battait vite et fort !

Étrangement, ce son répétitif et régulier finit par la réconforter et la rassurer. Le manteau du jeune homme, ou bien était-ce plutôt son corps, exhalait une odeur vraiment enivrante qu’elle voulut mieux analyser, elle était composée de santal et de savon, mêlée à celle musquée de sa transpiration fraîche, elle n’eut aucun doute sur son hygiène méticuleuse et curieusement elle se surprit à aimer sa fragrance et inspira profondément pour s’en imprégner à s’en faire tourner la tête. Non seulement Mr Darcy était un très bel homme, mais il sentait divinement bon, dommage que sa personnalité fût si déplaisante.

Pour Darcy, avoir le corps de cette jeune femme qui ballottait entre ses bras, contre son torse et ses cuisses, était une situation nouvelle. Il n’avait jamais tenu la fille d’un gentleman – exceptée sa sœur – de façon aussi intime. Il aurait pu la placer derrière lui, cela aurait été plus convenable, mais il avait voulu lancer sa monture au grand galop pour aller plus vite, or l’assise en amazone et à cru n’était pas très sûre et elle n’était pas bonne cavalière. Et il ne pouvait décemment pas lui proposer de monter à califourchon, et puis quelle belle occasion de la serrer entre ses bras sous couvert de la nécessité. Son parfum subtil qu’il reconnut envahissait ses narines. Il se sentit troublé physiquement, mais pas seulement. Un sentiment, qu’il ne reconnaissait pas encore pour ne l’avoir jamais ressenti auparavant, le submergea et un besoin impérieux de la protéger s’empara de lui.

Enfin, ils arrivèrent à destination. Darcy descendit rapidement et saisit Elizabeth par la taille. Elle posa ses mains sur ses épaules pour se stabiliser, puis il la déposa sur le sol. Dans le processus elle se sentit rougir et n’osa pas croiser son regard. Elle se rua à l’intérieur de la cabane en bois, tandis qu’il mena Pégase sous un auvent où il attacha ses rênes à une rampe. Son précieux étalon ainsi à l’abri, il rejoignit sa compagne d’infortune à l’intérieur du chalet. La jeune femme avait déjà ôté le manteau trempé de Darcy qu’elle avait accroché à une patère, ainsi que son bonnet et ses gants. Elle claquait des dents, avait les lèvres bleues et se frottait les bras tout en sautillant d’un pied sur l’autre pour essayer de se réchauffer. Il ôta son chapeau tout en parlant:

– Nous devons retirer nos vêtements pour les faire sécher, dit-il, mais en voyant l’air offusqué de la jeune femme, il précisa aussitôt en rougissant légèrement et en bredouillant, je…je veux dire votre manteau… et…

– Ah, euh… oui.

Ils s’exécutèrent maladroitement à cause de la gêne et pendirent rapidement le manteau de Lizzie et la redingote du jeune homme à la patère. Les yeux de Darcy se portèrent machinalement sur la jeune brune.

Ce fut une erreur.

A ce moment-là, elle se trouvait juste à côté de la fenêtre qui l’illuminait suffisamment pour pouvoir l’observer en détails. Le spectacle qu’elle offrit était trop affriolant pour les sens de l’homme déjà aiguisés par la chevauchée. Des mèches de cheveux mouillés s’étaient échappées de son chignon se collant à son cou et dans son décolleté, tout près de son petit grain de beauté. L’humidité avait plaqué le bas de sa robe à partir de la taille contre ses jambes dont la forme galbée était ainsi révélée. Plus haut, l’étoffe fine laissait deviner certaines protubérances que le froid avait durcies. Il sentit tout son sang se mettre à bouillir dans ses veines malgré la fraîcheur de la pièce. Il tourna très vite le dos et prit trois grandes respirations, le plus discrètement possible, pour reprendre contenance et se calmer. Il se sentit coupable d’avoir ressenti des pulsions charnelles alors qu’elle était dans une position si vulnérable et après avoir déclaré qu’il la trouvait juste passable, il ne pouvait pas être plus éloigné de la réalité. Ceci devait être sa punition pour avoir osé prononcer ces paroles si injustes. Peut-être devrait-il profiter d’être seul avec elle pour s’en excuser, mais comment aborder délicatement le sujet ? Il enleva aussi son gilet qui était humide ainsi que sa cravate trempée à tordre. Maintenant, il lui fallait trouver une diversion, il se retourna et très vite il la trouva.

– Vous tremblez de froid. Il faut allumer un feu.

Lizzie acquiesça et alla vers le centre de la pièce. En silence ils examinèrent les lieux grâce à la lumière du jour qui filtrait par la fenêtre, mais il faisait sombre à cause du ciel de plomb. Il y avait peu de mobilier qui était tout en bois : une petite table, un tabouret, deux chaises, un lit, un buffet. Une chandelle était sur la table et du bois était dans la cheminée. Heureusement le dernier locataire avait été prévoyant en laissant quelques bûches prêtes à être embrasées, mais sans système d’allumage elles resteraient bien inutiles. Les lieux n’avaient pas dû servir depuis l’automne ou l’hiver dernier à l’époque de la dernière saison de chasse.

Darcy fouilla dans le buffet et retira de l’un des tiroirs quelques bûchettes en chanvre et une pierre à feu (2). Mais la question que se posait Lizzie en voyant l’objet était de savoir si le gentleman savait s’en servir. Il devait avoir l’habitude que ce fût ses servants qui le fissent. Alors elle l’observa tandis qu’il déposa les bâtonnets sur la table avant d’ouvrir le couvercle de la boîte ronde en fer blanc qui était un peu cabossée. A l’intérieur elle vit deux objets : une pierre à fusil et un briquet mais où donc était l’amadou ? En accordant un peu plus d’attention, elle s’aperçut que le fond visible de la boîte était un disque qui était amovible et recouvrait des chiffons partiellement brûlés qui devaient servir d’étouffoir. Le briquet était donc complet.

Elle observa l’homme prendre la chaise et s’asseoir. En passant elle remarqua qu’il était en bras de chemise laissant apparaître son cou avec sa pomme d’Adam qu’elle vit bouger alors qu’il devait déglutir. Son col béant révélait une partie de ses clavicules et quelques poils bruns. Le lin blanc de très belle facture était un peu humide et dessinait les contours de ses muscles aux épaules, à ses bras et sa poitrine. Il avait un torse bien bâti, musclé, taillé en V, large de carrure et fin au niveau des hanches enserrées dans ses culottes de couleur bise. N’ayant pas de frère, elle n’avait eu que très peu d’occasions de voir un jeune homme aussi débraillé et en tout cas, pas de si beau ! Elle le vit alors qui maintenait solidement la boîte entre ses deux genoux, juste au-dessus du haut de ses bottes en passant son regard se porta sur ses cuisses puissantes, musclées elles aussi par une pratique régulière de l’équitation, supposa-t-elle. Il n’avait vraiment rien du dandy oisif des salles de bal de la capitale, et en comparaison, Mr Bingley était moins athlétique. Non, il ressemblait plutôt à l’un de ces dieux grecques qu’elle avait admirés au musée le mois dernier, à la différence qu’ils étaient plus dénudés ce fut alors qu’elle se demanda comment il serait encore plus dévêtu… comment serait sa peau sous le tissu ? Elle se sentit troublée et une faiblesse apparut dans ses genoux comme si elle allait défaillir. « Mais qu’est-ce qui me prend ? Je devrais avoir honte de nourrir de telles pensées ! » se fustigea-t-elle et elle le détesta encore plus à cause de cela. Cet homme lui faisait ressentir des sensations inconnues jusqu’alors qui étaient perturbantes et même inquiétantes pour Lizzie qui se sentait ainsi vulnérable. Elle ne comprenait pas cette attraction physique, ce magnétisme animal qu’elle éprouvait envers Mr Darcy, pour elle cela n’avait pas de sens puisqu’elle n’appréciait pas sa personnalité. Elle ne voulait plus y penser pour le moment alors pour se distraire elle se concentra sur la tâche qui l’occupait : allumer un feu.

Darcy serra fermement entre le pouce et l’index replié de sa main gauche, la pierre à fusil dont il ne laissa dépasser que le strict nécessaire pour plus de solidité. Enfin, de sa main droite il saisit le briquet. Les préparatifs étant alors terminés, il consacra quelques secondes à examiner si toutes les choses étaient en règle avant de prendre une solide assise sur son siège.

L’instant critique était arrivé.

Il introduisit la pierre à fusil puis une bonne partie de sa main gauche dans la boîte afin de rapprocher, autant que possible, la pierre et les chiffons. Ensuite, il frappa un premier coup de briquet dont on n’espérait pas grand-chose, il n’avait pour but que de prendre la mesure des coups ultérieurs. Puis un second coup, sérieux celui-là, un troisième… rien ! Un quatrième…

– Aïe ! cria-t-il en grimaçant un peu.

Il avait frappé sur son pouce. Un cinquième. Lizzie commençait à désespérer, mais elle savait que la tâche n’était pas aisée pour l’avoir essayée elle-même avec Betsy, leur servante à Longbourn. De plus les chiffons devaient, peut-être, être un peu humides. Un sixième. Ah ! une étincelle, mais trop fugace pour être efficace. Un septième et une autre étincelle qui semblât vouloir se fixer sur les chiffons, mais qui s’éteignit, non ! Un huitième… un dixième… un quinzième… Enfin ! Une bienheureuse étincelle s’était accrochée aux chiffons, on apercevait à leur surface un tout petit point en ignition. Vite, il lâcha pierre et briquet, et, le nez dans la boîte, il souffla, il souffla encore, puis attrapa une chènevotte (3) qu’il plaça à l’intérieur jusqu’à ce qu’elle se fût enflammée. Ouf ! La chandelle put être allumée à son tour. Darcy se dirigea alors vers la cheminée où Lizzie se mit à vérifier l’état d’humidité de la paille autour et en dessous des bûches. Elle n’était pas des plus sèches, mais cela devrait aller. Le jeune homme remarqua son geste et se dit qu’elle devait savoir s’occuper d’un feu pour avoir eu ce réflexe. Elle ne cessait de l’émerveiller, car il était sûr que les ladies de son entourage n’auraient même pas eu cette pensée.

– Où avez-vous appris à allumer un feu, Mr Darcy ? demanda-t-elle en se relevant pour lui céder la place.

– Avec mon père, répondit-il en enflammant la paille et les petites branches à l’aide de la chandelle.

– Avec votre père !? dit-elle sur un ton surpris.

– Je suis un gentleman farmer tout comme feu mon père et le sien avant lui et ainsi de suite sur plusieurs générations, dit-il fièrement. Or, dans les contrées sauvages du Derbyshire il est très utile de savoir se débrouiller. Nous avons donc appris à survivre dans la nature. J’avais dix ans lorsque mon père m’a emmené avec lui camper quelques jours et m’a enseigné tous les rudiments. Savoir allumer un feu, avec ou sans pierre à feu, en faisait partie, il avait pris le tisonnier pour remuer un peu les branchages, des flammèches rougeoyaient et dégageaient déjà une douce chaleur.

Les Darcy étaient pleins de surprises, elle doutait que son propre père eût déjà fait ce genre de tâche. Le profil de l’homme afficha de la tristesse, mais ce fut éphémère. Elle se souvint qu’il avait déjà perdu sa mère comme le lui avait appris le colonel Fitzwilliam, cela faisait donc de lui un orphelin et elle en ressentit de la compassion. Il reprit très vite son masque d’indifférence alors elle n’en demanda pas davantage.

Lizzie alla récupérer leurs vêtements pour les placer sur le dossier de chacune des deux chaises qu’elle exposa près de la cheminée afin de faire sécher les habits. Darcy s’était relevé et épousseta ses genoux où quelques brins de paille s’étaient collés à cause de l’humidité du tissu et frotta ensuite ses mains l’une contre l’autre pour en éliminer les poussières. Il alla chercher le tabouret pour le proposer à la jeune femme, quant à lui il se mit à califourchon sur l’une des deux chaises pour faire ainsi face au feu et se frotta les mains pour les réchauffer. Ils étaient ainsi assis côte à côte et la chaleur les envahit et les réconforta, mais de longues minutes de silence s’égrenèrent, chacun perdu dans ses songes. Les deux pensaient à la même chose : leur situation compromettante. Si on les retrouvait ainsi, la réputation de la jeune femme serait ruinée et en homme d’honneur qu’il était, Darcy devrait lui offrir de l’épouser pour sauver non seulement la réputation de Lizzie, mais également celle de ses sœurs.

Le Maître de Pemberley savait que sa compagne était parfaitement en droit de demander le mariage même si personne ne les surprenait. N’importe quelle lady de la bonne société n’aurait pas hésité à saisir une si belle aubaine de se voir devenir la prochaine Mrs Darcy. Il avait réussi jusqu’à présent à déjouer tous les traquenards de chacune de ces femmes et de leur mère pour finir marié de cette manière ! Devoir faire une alliance avec une famille tellement en dessous de son rang, que penserait sa famille ? Le Comte de Matlock ? Sans parler de Lady Catherine. Et puis les prospections de Georgie réduites à néant, car quel gentleman des meilleures familles souhaiterait s’unir avec une Darcy dont le frère serait descendu aussi bas ? Sa très chère sœur avait déjà suffisamment souffert depuis l’été dernier, mais comment éviter cela ? Pourtant, il ne pouvait pas déshonorer son nom en refusant d’épouser Miss Bennet, cela entacherait aussi Georgiana d’avoir un frère qui ne se conduirait pas en parfait gentleman. Les pensées du jeune brun étaient très sombres et avaient largement refroidi ses ardeurs envers la jeune femme. Pourtant, il ne regrettait nullement de l’avoir secourue, car l’idée qu’elle fût en danger lui était insupportable.

Quant à Lizzie, elle était parfaitement consciente des implications si elle était découverte seule dans une cabane avec un homme aussi peu vêtu. Mr Darcy était un gentleman et en tant que tel, son honneur l’obligerait à lui proposer le mariage. Elle s’attendait à ce qu’il en parlât à un moment ou à un autre, ce n’était pas à elle d’évoquer le sujet. Pourtant, elle priait le ciel pour qu’on ne les trouvât point. Tant que la tempête durerait il y aurait très peu de chance que ce fût le cas à moins qu’une âme perdue dans la tourmente ne vînt se réfugier ici. En effet, elle ne se voyait pas liée pour la vie à un homme si arrogant et qui la méprisait. Sans même parler d’amour le plus profond, elle ne pouvait envisager une union avec quelqu’un sans un minimum de respect et d’admiration mutuels. Absolument impossible ! Ses pensées furent interrompues par son voisin.

– La tempête peut durer encore un certain temps, le ciel est encore très chargé et le vent ne montre pas de signe de faiblesse. J’ai vu quelques conserves dans le buffet, n’avez-vous pas un peu faim, madame ? il la regarda en attendant sa réponse.

– Il est vrai que je n’ai pas pris de déjeuner, mais je n’ai pas vraiment d’appétit. J’ai deux roulés à la confiture dans la poche de mon manteau je ne sais pas dans quel état ils sont, mais si cela vous tente je vais les chercher, répondit-elle en se levant de son tabouret.

– Merci, je vais voir ce qu’il y a exactement comme denrées, lui, avait l’estomac dans les talons.

Lizzie retira de la poche de gauche les deux gâteaux qui étaient emballés dans un mouchoir. Ils avaient été un peu écrasés, probablement durant la chevauchée, mais ils étaient encore consommables alors elle les posa sur la table. Dans la partie gauche du buffet, Darcy avait trouvé un bocal de pêches au sirop, une boite en fer contenant des biscuits secs, une autre avec du thé et un pot de miel. Dans la partie droite se trouvaient un peu de vaisselle, une bouilloire et une théière.

– Nous avons de quoi improviser un déjeuner, annonça-t-il content.

– J’avoue que je boirais bien un thé bien chaud, dit-elle en observant les trouvailles.

– Je m’en occupe.

– Vous savez faire du thé, Mr Darcy ? le taquina-t-elle.

– Vous savez bien qu’un Anglais ne survivrait pas sans thé, cela était donc l’un des rudiments de survie que j’ai appris, répondit-il avec un léger rire.

– Et vous savez aussi faire preuve d’humour quand vous le voulez.

Le ton de Lizzie était un peu ironique, car elle voulait un peu le blesser en disant cela, mais Darcy prit cela pour une gentille taquinerie et ne sachant pas trop comment y répondre il commença à s’occuper de la préparation de la boisson. Il prit donc la bouilloire et sortit rapidement pour la remplir dans un tonneau qu’il avait repéré à l’extérieur, puis il revint pour l’accrocher sur la crémaillère dans l’âtre de la cheminée avant de s’occuper des feuilles de thé.

C’était dans des moments comme celui-ci qu’il regrettait de ne pas posséder le talent de Richard à savoir converser aisément surtout avec une femme. Il se sentait maladroit et mal à l’aise, d’autant plus qu’il admirait de plus en plus Miss Elizabeth et cela lui faisait peur.

Pendant ce temps-là, Lizzie avait installé sur la table deux tasses, deux cuillères et les victuailles. Le silence s’était de nouveau installé et Lizzie sentit le regard intense de Mr Darcy sur elle. Elle se demanda ce qu’elle avait fait de travers alors qu’en fait il la trouvait irrésistible dans ce tableau rustique. Elle était si adorable avec ses cheveux ébouriffés et sa tenue en désordre, elle serait magnifique même affublée d’une simple robe de paysanne. Ce fut alors qu’une pensée incongrue lui vint, il imagina Caroline Bingley dans la même situation. Il fut alors pris d’un fou-rire qu’il ne sut contrôler complètement, car il voyait parfaitement celle qui se prenait pour une lady, digne des salons les plus raffinés de la ville, se lamenter et il pouvait l’entendre gémir de se retrouver ainsi : « Non mais quelle infamie, Mr Darcy, comment la pluie a-t-elle osé m’offenser de cette manière ? »

– Vous vous moquez de moi, Mr Darcy ? demanda Lizzie vexée.

Elle réalisa alors que c’était la première fois qu’elle le voyait rire ouvertement et qu’il avait de superbes dents blanches bien alignées et deux belles fossettes sur ses joues. Était-il possible qu’il fût encore plus beau ? Insupportablement beau ? Mais il riait à ses dépens, quel grossier personnage, quel homme intolérable !

– Comment ? Euh…Non, non ! Pas du tout, Miss Bennet, je ne riais pas de vous, répondit-il confus.

– Bien sûr, je vous crois ! dit-elle ironiquement la colère dans les yeux et les bras croisés.

– Je vous assure que non, son rire s’arrêta brusquement et il tritura sa chevalière.

– Alors qu’est-ce qui vous fait rire autant ?

– Vous n’espérez pas que je vous dise tout haut la pensée peu charitable que je viens d’avoir ? répondit-il maladroitement.

– Donc vous vous moquiez bien de moi, je sais qu’en ce moment je ne dois même plus être juste passable à vos yeux ! dit-elle en insistant sur les mots du jeune homme qu’elle avait surpris et en plaçant ses mains sur les hanches, elle le défia du regard. Cela avait été plus fort qu’elle.

Darcy resta bouche bée quelques instants et rougit. Il ne s’y attendait pas. Il savait bien qu’il aurait déjà dû s’excuser de ces malheureux mots .

– Miss Bennet, je… je voudrais m’excuser pour ces mots cruels et injustes, … mais vous n’étiez pas censée les entendre, finit-il pour se défendre.

– Dans ce cas, il ne fallait pas parler si fort, toute la forêt aurait pu vous entendre ! elle était outrée que même en lui faisant des excuses il s’arrangeait pour que cela paraisse être de sa faute.

– Et qu’est-ce qui vous gêne, que les écureuils m’aient entendu ?

Il avait lancé cette réplique impulsivement par frustration, car il se sentait impuissant à lui faire accepter ses excuses pourtant sincères. Il regretta ces nouveaux mots maladroits, car il savait très bien que quelqu’un l’avait bien écouté, son cousin, mais cette femme avait le don de le déstabiliser.

Quant à Lizzie elle était devant deux façons de réagir à cela, soit par davantage de colère, soit en s’en amusant. Le temps fut comme suspendu pendant quelques secondes, ils se regardèrent fixement comme deux chats prêts à se sauter dessus. Mais Lizzie éclata de rire, finalement la dernière remarque du jeune homme était assez drôle, même si elle avait été dite très sérieusement. En entendant son rire cristallin, Darcy se détendit tout comme son expression.

– Vous êtes impossible, Mr Darcy, dit Lizzie avec humour.

– Et vous, vous vous complaisez à vous méprendre sur toutes mes pensées et mes paroles, dit-il gentiment.

Mais comment aurait-il pu lui dire que c’était de Miss Bingley qu’il s’amusait alors qu’elle allait bientôt faire partie de sa famille ? Impossible. Il l’observa, elle était si belle d’abord dans sa colère puis dans son amusement, il vit de nouveaux des paillettes d’or s’allumer dans ses yeux, accentuées par les flammes dont le reflet dansait aussi dans ses cheveux révélant des nuances chaudes de bruns, d’auburn et de cuivrés. Il eut envie de la toucher, de passer ses mains comme un peigne pour démêler sa chevelure et en apprécier la texture qui devait être comme de la soie. Elizabeth était ce feu qui crépitait dans le foyer, elle était la vie même.

Et il la désirait.

Il la voulait plus qu’il n’avait désiré aucune autre femme auparavant.

Ce fut le sifflement de la bouilloire qui rompit le charme.

Gêné par sa maladresse et par ses pensées, il se détourna pour aller chercher l’eau. Il se saisit d’un torchon pour agripper l’anse sans se brûler et vint verser le liquide chaud dans la théière. Ils attendirent en silence les quelques minutes d’infusion. Lizzie plaça une cuillère de miel dans une des tasses tout en demandant :

– Désirez-vous du miel ?

– Non, merci.

Elle versa le thé dans chacune des tasses et ils le burent avec grand plaisir. Lizzie mangea l’un de ses gâteaux, Darcy consomma le deuxième ainsi que quelques biscuits.

Ils débattirent sur quelques sujets et parlèrent de Charles Bingley. Darcy raconta comment il l’avait connu. Après une heure la tempête se calma suffisamment pour leur permettre de rentrer.

Elizabeth s’attendait à ce que Mr Darcy lui offrît de l’épouser, mais en fait il attendait le dernier moment, tout embarrassé qu’il était de ne savoir comment aborder le sujet. Lizzie pensa donc qu’il n’était pas un homme d’honneur même si elle était soulagée qu’il ne le fît pas. Le lieutenant Wickham devait avoir raison à son sujet. Elle lui proposa donc de rentrer séparément afin d’éviter d’être compromis et se leva pour prendre son manteau.

– Non, je vais vous raccompagner, Miss Bennet. Vous chevaucherez Pégase tandis que je marcherai à côté.

– Non, Mr Darcy ! Je vais rentrer à pied et seule pour éviter toute rumeur.

– Mais certainement vous vous rendez compte que les chemins seront tout boueux ! s’exclama-t-il.

– Et alors, que sont trois miles (4) de marche et six pieds de boue sur mon jupon si c’est pour préserver notre réputation ? répondit-elle avec un air espiègle teinté de défi. Et puis vous connaissez mon cousin, de plus sa servante ne sait pas tenir sa langue. Je ne souhaite pas que ma famille m’oblige à me marier avec je ne sais qui sans amour afin de sauver mes sœurs et moi-même du déshonneur !

– Vous obliger à vous marier avec je ne sais qui ? Que voulez-vous insinuer ? s’exclama-t-il vexé en pensant qu’elle parlait de lui.

– Je sais très bien qu’un homme de votre rang doit épouser une femme de bonne famille et avec une belle dot. Si ma réputation est entachée ma mère serait capable de me trouver un homme encore pire que Mr Collins, et cette fois mon père ne pourrait pas me sauver.

– Vous remettez donc en question mon honneur ? Je ferai mon devoir si tel était nécessaire, madame ! répondit-il offusqué.

– Mais puisque je vous propose une solution qui ne vous y obligera pas… elle était ferme.

– Mais…

– Il n’y a pas de mais, le coupa-t-elle, je ne désire pas plus que vous d’un mariage dans ces circonstances, Mr Darcy.

– Bon très bien, si c’est ce que vous désirez.

Il soupira résigné et la laissa quitter les lieux la première. Il ne put s’empêcher d’être un peu inquiet de la laisser partir dans les chemins bourbeux, mais il se dit qu’elle était une bonne marcheuse. Il attendit un quart d’heure avant de partir à son tour. Pendant ce temps-là, il remit sa cravate autour de son cou et la noua, en grimaçant en la sentant encore un peu humide. Il se revêtit et, avant de terminer par son manteau, étouffa le feu et rangea tout ce qu’ils avaient bougé, en se faisant une note mentale de retourner aussitôt que possible pour remettre le bois dans la cheminée, afin d’effacer toute trace de leur passage. Juste avant de sortir de la cabane, son regard fut attiré par un objet brillant sur le sol, il se pencha pour le ramasser. C’était l’une des épingles à cheveux d’Elizabeth. Il la caressa du bout des doigts, elle lui rappelait les belles boucles brunes et luxuriantes, il la porta machinalement à ses lèvres et l’embrassa en fermant les yeux pour mieux se souvenir, puis inspira profondément. Il perçut la fragrance lointaine, à peine perceptible, de son parfum délicat. Il reprit ses esprits avant de glisser l’objet dans sa poche.

Sur le chemin du retour et à mi-chemin, Lizzie croisa les deux domestiques du presbytère qui étaient à sa recherche. Elle fut bien sûr sermonnée par le pasteur trop heureux d’avoir eu raison au sujet de la tempête, mais réconfortée par son amie Charlotte soulagée de la voir saine et sauve. Mais la femme du pasteur s’étonna qu’elle ne fût pas trempée jusqu’aux os. Lizzie mentit en répondant qu’elle avait été surprise par la tempête à un tout autre endroit qu’en réalité – elle n’était pas censée connaître l’existence de la cabane de chasse -, elle indiqua une petite chapelle dans laquelle elle aurait pris refuge, celle qu’elle avait vue lors d’une longue promenade avec Charlotte et Maria tout en remerciant sa bonne étoile qu’heureusement elle se trouvait sur la route qu’elle avait prise en rentrant, avant de rencontrer les domestiques. Lizzie croisa les doigts pour que personne d’autre ne s’y fût trouvée au même moment et que cela ne vînt aux oreilles du pasteur qu’en fait elle ne s’y trouvait point.

Darcy venait de découvrir que Miss Elizabeth n’était pas une chasseuse de fortune et cela renforça encore son admiration pour elle. Bien qu’il fût soulagé pour sa famille et surtout Georgie, il se surprit à être un peu déçu de ne pas être obligé de l’épouser. Aurait-il voulu ce mariage tout au fond de lui-même ? L’idée commençait à faire son chemin en lui.

.Chapitre 6

Ce n’était peut-être pas le genre de tempête que vous attendiez, pourtant, quelle tempête aussi bien dans le sens littéral que dans leurs émotions, n’est-ce pas ? 😀

Prochain chapitre: Darcy va jouer avec Lizzie, à moins que ne soit elle qui jouera avec lui, réponse bientôt… 😛


Notes :

(1) La Royal Society, dont le nom officiel est Royal Society of London for the Improvement of Natural Knowledge et que l’on peut traduire littéralement par « Société royale de Londres pour l’amélioration des connaissances naturelles », est une institution fondée en 1660 destinée à la promotion des sciences. Cette société savante est l’équivalent de l’Académie des sciences en France.

(2) Pierre à feu : le briquet de l’époque, car les allumettes telles que nous les connaissons n’existaient pas. Les premières allumettes chimiques, bâtonnets imprégnés de potasse, de sucre et de soufre que l’on enflammait dans de l’acide sulfurique ont été inventées vers 1810, mais elles étaient dangereuses et coûteuses donc peu répandues et encore moins dans une cabane de chasseur.

(3) Chènevotte : brin de chanvre, partie ligneuse du chanvre dépouillée de son écorce

(4) environ 5 km

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