Chapitre 2 : une grave décision
Un amour dans la tourmente!
Tout d’abord, toutes mes excuses pour mon long silence mais j’ai dû être hospitalisée en urgence et pour 9 jours, je suis maintenant en convalescence chez moi mais je ne suis pas encore complétement rétablie donc soyez patient(e). Heureusement, j’avais écrit le 2ème chapitre (qui est un chapitre charnière) avant donc le voici. Bonne lecture 😀
Never an Absolution – Titanic Soundtrack OST – James Horner
Après un trajet qui lui parut une éternité, Albert sauta du fiacre laissant un billet au cocher couvrant bien plus que la course mais il n’avait que faire de récupérer sa monnaie. Il courut comme un fou vers les quais d’embarquement et demanda à un marin:
– Le Red cross ? Où est le Red cross ?
– Le Red cross ? … désolé mais il vient juste d’appareiller !
Le marin pointait du doigt la silhouette d’un navire qui s’éloignait peu à peu, prenant le large.
Albert sentit son cœur voler en éclats en voyant ce bateau qui emportait avec lui une partie de son âme, un morceau de son cœur. Il lui semblait que l’essence même de sa vie était en train d’être drainée, aspirée par ce géant d’acier, elle s’évaporait. Ce vaisseau blanc était comme un monstre marin mythologique qui le narguait après avoir enlevé son trésor le plus précieux, l’entrainant vers des contrées mythiques agitées et dangereuses. Le son de la corne de brume était comme un rugissement de la bête qui déchirait ses oreilles, mutilant son cœur, laminant son âme … Même les mouettes rieuses qui volaient dans le ciel semblaient se moquer de lui.
– NON ! CANDY NOOOON !!!
Il n’avait pourtant pas perdu de temps pour se lancer à sa poursuite, il n’avait gaspillé aucune minute mais le destin en avait décidé autrement. C’était comme un arrache cœur. Que pouvait-il faire ? Sous la montée d’adrénaline il eut même la pulsion, pendant une fraction de seconde, de se jeter à l’eau pour rattraper le bateau à la nage. Toutefois, il réalisa aussitôt que ce serait un acte complétement absurde et désespéré ; alors, totalement impuissant, il s’effondra et tomba sur ses genoux en hurlant son nom plusieurs fois, la tête enfouie dans ses mains pour cacher ses larmes qui jaillissaient sans sa permission, sous le regard abasourdi des badauds. Il était arrivé trop tard ! Candy, la femme qu’il aimait plus que sa propre vie était emportée vers la guerre, l’impitoyable guerre, cette broyeuse de vies, aveugle, qui lui avait déjà enlevé son petit cousin Alistair. Son cœur battait à tout rompre, tambourinait à ses tempes, broyé entre les tenailles de la peur, du regret, de la rage et de la culpabilité aussi.
Candy, sa petite princesse était partie !
Alors il regarda tristement le navire qui s’éloignait peu à peu, devenant de plus en plus petit avec ses deux cheminées portant le logo de La Croix Rouge placées au centre du navire, ainsi que chaque mât disposé aux deux extrémités. Il se mit à faire une prière en gaélique, sa langue natale.
Fhir a chunnaic air an t-sàil I
Beannaich an long bhàn ‘s a criùdh’
Beannaich a cruinn àrd ‘s a h-acfhuinn
A cuid acraichean ‘s a siùil (1)
Ce qui voulait dire :
Vous qui l’avez vu en mer
Bénissez le beau navire et son équipage
Bénissez ses hauts mâts et son équipement
Ses amarres et ses voiles

By United States Navy [Public domain], via Wikimedia Commons https ://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/6/63/SS_Red_Cross%2C_1914.jpg
Au même instant à bord du navire, Candy qui était sur le pont regardant s’éloigner la côte américaine peu à peu, crut entendre son nom dans la brume matinale. Son nom prononcé par cette voix habituellement douce qu’elle aimait tant et qui lui manquait tellement, la voix d’Albert ?!… « Non impossible, je dois avoir des hallucinations, il me manque tellement que je crois l’entendre même ici ! » Se dit-elle en cherchant des yeux les formes humaines qui étaient maintenant comme de petits insectes sur le quai.
Albert !
(Celine Dion – My Heart Will Go On (TITANIC) (*))
Elle se sentit le cœur lourd une fois de plus en songeant à lui, ainsi qu’une larme qui roulait sur sa joue. La vie est si étrange, c’est en pensant à un autre qu’elle avait parcouru ce chemin en sens inverse depuis l’Europe à bord du « Sea gull » en tant que passagère clandestine. Au moins cette fois elle n’aurait pas à se cacher. Avait-elle pris une bonne décision de partir ainsi en ne laissant qu’une lettre à chacun de ses amis comme Annie et Archie ou à ses mères adoptives, Tom ou le Dr Martin en plus de l’Oncle William, allaient-ils la comprendre ? Elle n’avait même pas encore osé écrire à Patty encore trop fragile, de peur d’attiser sa douleur, car Alistair était parti de la même façon. Elle s’en voulait aussi de partir ainsi, mais sa souffrance, sa solitude et l’absence d’Albert étaient devenues insupportables. « Pourquoi a-t-il fallu que je réalise trop tard mes sentiments pour lui ? Peut-être ne serait-il pas parti alors si j’avais pu lui faire comprendre ce que je ressentais pour lui ? Pourtant; il se comportait comme un grand frère pour moi, pas davantage. » Ah ! Elle avait l’impression de devenir folle à se retourner toutes ses questions dans sa tête. De toute façon maintenant, il était trop tard, elle était en route pour un autre destin. Elle commençait à avoir froid avec le vent du large qui était de plus en plus intense, mais elle ne voulait pas encore rejoindre sa cabine et les trois autres voyageurs qui devaient la partager avec elle ; il serait temps de faire connaissance avec les autres volontaires un peu plus tard, pour l’instant elle ne se sentait pas d’humeur. Elle avait encore plus froid dans son cœur et dans son âme.
XXX
Une fois le choc passé, Albert reprit vite le dessus, il avait pris une grave décision et il devait tout organiser pour partir à sa recherche là-bas en Europe. Quoi que pourraient en dire ses proches, il avait décidé de quitter l’Amérique pour retrouver et ramener Candy, coûte que coûte ! Il avait commis une erreur en l’abandonnant maintenant il était temps de réparer. Il se renseigna tout d’abord sur le prochain navire en partance pour l’Europe et par ces temps de guerre, avec les sous-marins allemands qui torpillaient tous les vaisseaux qui croisaient leur chemin depuis janvier, les voyages s’étaient faits plus rares. Il repensa à Candy « Pourvu que son bateau ne subisse pas le même sort que le Vigilentia ! » Lui-même pouvait bien périr soumis aux mêmes risques que Candy s’il prenait la mer mais il devait retrouver sa petite princesse.
Après plusieurs jours de recherches il trouva enfin un navire mais qui ne prenait pas de passagers. C’était un gros cargo de marchandises, devant son insistance le capitaine répondit à Albert :
– Désolé Monsieur Ardlay mais nous ne prenons pas de passagers à bord, alors à moins que vous ne sachiez cuisiner, vu que notre cuistot vient de nous faire défaut, je ne peux rien pour vous !
– Vous voulez dire que vous recherchez un cuisinier ? Alors je suis votre homme ! Répondit Albert reprenant espoir.
– Permettez-moi d’en douter, dit-il dubitatif.
– J’ai déjà travaillé comme cuisinier dans un restaurent de Chicago durant plusieurs mois, au début j’y ai même fait la plonge, dit le blond d’un air assuré.
– Vraiment ? Un homme de votre statut ? Le capitaine, la mine suspicieuse se grattait le menton. Il avait du mal à croire qu’un homme qui avait visiblement de très bonnes manières et qui appartenait à l’une des plus riches familles d’Amérique avait pu n’être qu’un simple plongeur ! En même temps sa tenue simple composée d’un jean, d’une saharienne marron, d’un pull noir, d’une écharpe blanche et de bottes, était inhabituelle pour un homme de son rang, mais était plus digne d’un vrai globe-trotter.
– J’étais amnésique à l’époque mais c’est une longue histoire. Je vous prie de me croire et de me faire confiance, je travaillerai dur, comme deux si c’est nécessaire et sans rechigner. Je ne vous demande même pas de salaire.
Devant la détermination du jeune homme et attiré par le fait qu’il n’aurait pas de paie à lui verser, le capitaine se laissa finalement convaincre.
– Bon très bien, mais ne me faites pas regretter ma décision, des marins affamés n’ont pas bon caractère vous savez ?
– Promis, vous ne le regretterez pas Capitaine !
– Alors soyez ici dans deux jours à 5h tapante.
– J’y serai.
Albert avait enfin décroché son « billet » pour l’Europe, de toute façon il aurait été même prêt à voyager en tant que clandestin s’il l’avait fallu. Il s’entretint par téléphone avec Georges pour organiser son absence qui durerait plusieurs semaines. Il ne savait même pas s’il serait de retour pour sa prise de fonction officielle en tant que président auprès des entreprises Ardlay qui était prévue le 28 juin, jour de son anniversaire. Il savait aussi que sa tante serait contrariée et inquiète mais la chose la plus importante était de retrouver Candy et de la ramener saine et sauve. Il y passerait sa vie entière si nécessaire, tel était son état d’esprit et personne, non, personne au monde ne pourrait l’en dissuader. Georges le savait parfaitement même s’il avait essayé en lui proposant d’aller à la recherche de la jeune-femme lui-même ou de l’accompagner, ce qu’Albert refusa catégoriquement. Tout d’abord il ne voulait pas faire prendre de tels risques à son plus fidèle ami et puis il voulait retrouver Candy lui-même. Il avait tant de choses à lui dire et il devrait se montrer convaincant car il connaissait la détermination que pouvait avoir sa blondinette. Ainsi Georges lui souhaita un bon voyage tout en espérant que tout irait bien pour son ami et sa protégée, pourtant il était extrêmement inquiet vu le contexte.
Albert profita de ces deux journées pour écrire à sa tante afin de lui expliquer son départ et pour mener quelques investigations auprès de La Croix Rouge. Il signifia également sa colère envers la responsable d’avoir laissé s’engager une mineure sans le consentement de son représentant légal. Il espérait ainsi éviter le même désagrément à d’autres familles et faire pression pour obtenir le plus de renseignements possibles; notamment connaitre la position des hôpitaux. En effet, une fois arrivé en France, il lui faudrait retrouver sa chère blonde aux yeux verts le plus vite possible surtout que l’entrée en guerre des États Unis n’était plus qu’une question de jours si ce n’était pas d’heures et là, les choses risquaient de se compliquer.
XXX
Deux jours plus tard, un peu avant 5h, Albert était prêt à embarquer. Georges lui avait fait la surprise de venir lui souhaiter un bon voyage. Le brun considérait Albert comme le fils qu’il n’avait jamais eu et il était vraiment très inquiet.
– Mon cher William, je t’en prie sois très prudent, tu sais que tu es comme un fils pour moi. Et ramène-nous Candy saine et sauve, je sais à quel point elle t’est chère,… j’ai tout compris tu sais !
– Georges, mon ami tu sais que tu es comme un père pour moi, tu me connais si bien que je ne peux rien te cacher. Je te remercie d’être venu me souhaiter un bon voyage et d’avoir apporté ces papiers. En cas de besoin cela nous fera gagner du temps, mais pour l’instant je ne sais pas encore, cela dépendra de Candy. Je serai le plus prudent possible et je t’enverrai des nouvelles chaque fois que je le pourrai. Je ne referai pas la même erreur qu’en Afrique, lorsque j’avais coupé tous les ponts délibérément, vous laissant dans l’inquiétude. Je m’en veux encore si tu savais !
– C’est du passé,… bon voyage William !
– Merci Georges, mon cher ami !
Les deux hommes se firent une accolade chaleureuse et Albert pris son sac à dos pour se diriger vers le cargo de marchandises. Le capitaine Douglas et ses hommes étaient en train d’embarquer, il fit les présentations, les marins, des durs à cuire, étaient un peu méfiants du « p’tit nouveau ».
– Eh ! Cap’tain, z’êtes sûr que l’blondinet f’ra l’affaire ? J’ai pas envie d’crever l’faim moé ! Cria un petit brun tatoué.
– Ouais ! Moi non plus ! Renchérit un autre.
– La ferme ! Tous à vos postes bande de geignards, on appareille tout de suite ! Tommy ! Montre à notre nouveau cuistot les cuisines ! Ordonna le capitaine.
– A vos ordres cap’tain !
Albert savait qu’il n’était pas parmi des enfants de chœur mais il ne se laissa pas impressionner le moins du monde, il en avait vu bien d’autres.
Le voyage d’une dizaine de jours se déroula sans gros problème, juste une belle tempête en plein milieu de l’océan qui mit à rude épreuve tous ces grands gaillards. Albert s’en sortit comme un chef et tous ses bons petits plats furent même préférés à ceux du cuistot habituel. Le capitaine Douglas était ravi d’avoir fait une si belle affaire avec lui sans même un sou à débourser.
XXX
Albert débarqua donc en France au port de Saint-Nazaire (2) près de la ville de Nantes sur la côte atlantique et au nord de l’estuaire de la Loire, quelques jours après l’entrée en guerre le 6 avril 1917 des Etats Unis. Il apprit la nouvelle à son arrivée, on ne parlait que de cela car l’espoir d’en finir enfin avec cette Grande Guerre le plus tôt possible était dans tous les esprits. Enlevés aux moissons qui avaient commencé en 1914, les hommes qui pensaient que cela devait être la « Der des Der » croyaient pouvoir revenir aux vendanges. Mais il n’en fut rien, le terrible conflit durait depuis presque trois ans et s’enlisait, les morts se comptaient maintenant par millions. Tous les étages de la société française dans sa diversité étaient touchés, pauvres, riches, ouvriers, artisans, paysans et étudiants, mais aussi et surtout enfants, parents, épouses, fiancées avaient subi la dure séparation d’au moins l’un des leurs.
Heureusement, Albert parlait couramment le français surtout qu’il lui faudrait traverser une bonne partie du pays, en pleine guerre, pour rejoindre le camp où devait se trouver Candy. Ce n’était pas encore gagné car plus il remonterait vers le nord-est et plus il pénétrerait dans les zones les plus touchées par les combats, dix départements étaient même en zone occupée par l’ennemi. Pour l’instant, il trouva un petit hôtel modeste sur le port fréquenté principalement par les marins. Il y resterait le temps de trouver de quoi se déplacer, ce ne serait pas en automobile en tout, car beaucoup de véhicules avaient été réquisitionnés, tout comme les chevaux d’ailleurs, la meilleure option était le train. Après une nuit, il réussit à prendre un train qui se rendait à Paris et de là, il espérait rejoindre Soissons ou Reims ce qui le rapprocherait considérablement de Candy qui devait se situer quelque part entre ces deux villes, en zone occupée ce qui le rendait fou d’inquiétude.
Il y avait beaucoup de militaires dans le train, certains en fin de permission qui retournaient au front, d’autres, de nouveaux appelés. Albert entendit le dialogue de ses plus proches voisins, l’un d’eux qui s’appelait Yann parlait à son ami Jacques.
– Je n’ai vraiment pas envie d’y retourner.
– Qui voudrait retourner en enfer ? Mais on n’a pas le choix.
– J’ai l’impression que ça ne finira jamais, dit Yann d’un ton las.
– Il y a quand même de l’espoir maintenant avec les américains qui sont enfin entrés dans le conflit.
– Que Dieu t’entende, Jacques !
Albert, très inquiet pour Candy ne put s’empêcher de leur poser quelques questions.
– Excusez ma curiosité mais c’est comment exactement sur le front ?
– Ah ! Mon bon monsieur, c’est l’horreur, surtout dans les tranchées. L’odeur de mort est partout, les obus, les attaques de gaz, des lance-flammes, les affrontements à la baïonnette. Répondit Yann d’un air affligé.
– Et si vous vous en sortez, il y a la fièvre typhoïde, les rats, la vermine, la boue glacée quand c’est pas la faim ou le froid qui vous assassinent. Renchérit Jacques.
– Heureusement que la plupart des soldats sont soudés car si on devait compter sur les grands de ce monde qui sont bien au chaud à commander à l’arrière…Tous des planqués ! Reprit Yann avec véhémence.
– Oui et le soutien du personnel médical aussi, moi, je dois mon salut à une infirmière courageuse qui a perdu la vie en me portant secours il y a six mois. La pauvre fille, à peine avait-elle réussi à stopper l’hémorragie qui me terrassait qu’elle a reçu une balle perdue en plein cœur, elle n’avait que vingt ans ! Dit Jacques en secouant la tête, triste et désabusé.
Albert tressaillit en entendant cela, son cœur passa un battement de terreur, ses pires craintes prenaient forme dans ce témoignage. Il serra le petit écrin en velours noir qui était dans sa poche, c’était comme pour conjurer le mauvais sort. Il aurait tellement voulu pouvoir offrir son contenu un jour à Candy, l’unique femme qu’il envisageait d’épouser. Il avait pensé ne jamais pouvoir le faire croyant que ses sentiments envers elle n’étaient pas partagés, maintenant il n’en n’était plus aussi sûr. Il s’empressa de demander :
– Elle travaillait pour La Croix Rouge ?
– Oui en effet, mais dites-moi vous êtes américain, n’est-ce pas ? Demanda Yann qui avait décelé son accent.
– Oui, vous avez bien deviné, au fait, permettez-moi de me présenter, je m’appelle William Albert Ardlay.
– Alors bienvenue en France monsieur Ardlay ! Moi c’est Yann Guézennec (3) et voici mon ami Jacques Briand (3). Nous vous sommes reconnaissants à vous les américains de venir à la rescousse. Vous rejoignez le front ? Pourtant les troupes américaines n’ont pas encore débarqué.
– En fait, je suis à la recherche d’une jeune-femme qui s’est engagée dans La Croix Rouge comme infirmière.
– Ah ! Votre petite amie, je parie ? Dit Jacques qui avait remarqué son ton anxieux et sa mine préoccupée.
– C’est la personne à laquelle je tiens le plus au monde. Répondit Albert avec passion resserrant encore plus fort son écrin noir.
– Vous savez, il ne faut pas trop vous inquiéter, la grande majorité des infirmières restent à l’arrière des lignes de front dans les hôpitaux auxiliaires. Yann ayant senti l’angoisse d’Albert voulut le rassurer.
Albert espérait qu’il avait raison et n’avait pas simplement dit ça pour apaiser son inquiétude. Il avait la gorge serrée et resta silencieux un bon moment laissant les deux amis continuer leur discussion sur leurs activités pendant leur permission. Par tact, ils évitèrent le sujet du front et de ses horreurs mais Albert en avait suffisamment entendu pour noircir le tableau qu’il s’était déjà dressé comme accablant. Un peu plus tard, il reprit le dialogue avec eux pour essayer d’apprendre le maximum de renseignements qui pourraient s’avérer utiles par la suite, comme la manière la plus rapide pour se rendre sur les lieux, s’ils connaissaient des personnes à contacter… Par chance Yann se rendait pas très loin de la zone où devait se trouver Candy, à vrai dire presque tous les soldats du train y allaient. En effet, le général Nivelle avait lancé une bataille qu’il pensait décisive sur « Le chemin des Dames » (4) entre Soissons et Reims et il fallait des renforts car c’était en fait un véritable carnage mais ça, les passagers du train l’ignoraient encore.
Yann proposa à Albert de rester avec son ami et lui pour le guider, les deux hommes à peu près du même âge avaient sympathisé. Dans la vie civile, Yann était instituteur et habitait à Nantes, il était marié et avait une petite fille de trois ans qui s’appelait Solène. Il était blond d’une nuance plus sombre que les cheveux d’Albert, de taille moyenne et mince avec un regard très clair et franc aux reflets gris presque argentés. D’après Jacques qui ne tarissait pas d’éloges sur son ami, Yann avait obtenu le grade de Lieutenant grâce à sa capacité à diriger les hommes et aussi pour s’être honoré par des actes de bravoure en sauvant plusieurs fois des soldats blessés. Il n’abandonnait jamais un camarade sur le champ de bataille.
Il fallut une journée entière de voyage pour parcourir les quelques 440 km de trajet, entrecoupé d’arrêts avec toujours les mêmes scènes déchirantes de séparation sur les quais: un mari qui laissait sa femme, des parents qui se séparaient de leur fils ou une jeune-fille qui embrassait passionnément son fiancé comme s’ils étaient seuls au monde et qu’il n’y aurait pas de lendemain. Albert ressentit chacune de ces séparations comme s’il la vivait lui-même, tous ces gens inconnus happés par l’absurdité des événements, arrachés injustement à leur vie ne sachant pas si elle reprendrait là où elle s’était arrêtée. Des larmes et du sang, tels étaient les tributs de tout un peuple, les sacrifices de toute une génération à cette maudite guerre. Et le pire est que cela devait être la même chose en face dans le camp ennemi.
Jacques et les deux blonds arrivèrent en fin d’après-midi à Paris à la Gare d’Orléans (5). Ils se rendirent à la gare du Nord pour trouver un autre train qui les mènerait à Soissons. En traversant la ville, ils remarquèrent que Paris avait l’air d’avoir plutôt été épargnée par les destructions, mais ce qui étonna Albert c’était de voir beaucoup de femmes travailler. Il l’avait déjà remarqué dans les campagnes que le train avait traversées. Yann lui expliqua que la grande majorité des hommes en âge de travailler étant partis au front, c’était aux vieillards, aux enfants mais surtout aux femmes qu’il incombait de prendre en charge les travaux des champs et les tâches quotidiennes qui ne pouvaient attendre le retour des soldats. En ville, on retrouvait les femmes aussi bien dans les usines d’armement à fabriquer les obus, que dans les scieries à scier des charpentes ou même dans les chaudronneries à travailler le métal. Ici à Paris, Albert vit qu’elles conduisaient les tramways et les taxis, contrôlaient les passagers du métro ou encore entretenaient les moteurs et les wagons des trains. Albert était impressionné de voir le courage, la détermination et l’engagement du « sexe dit faible » à se battre pour survivre et continuer malgré tout à faire vivre le pays qui se trouvait dans la tourmente, ce qui le fit penser de nouveau à Candy qui avait ce même courage. Pendant que les hommes défendaient leur pays, payant de leur sang, les femmes suaient larmes et eaux.
XXX
Pendant ce temps-là Candy avait fait enfin la connaissance de ses trois compagnes de voyage, des infirmières volontaires comme elle. Il y avait Allison, Jennifer et Lise. Allison, une petite rouquine de dix-neuf ans était un vrai boute-en-train. Jennifer, une petite brune de vingt ans était plutôt réservée et enfin Lise, une grande brune de vingt-cinq ans, était veuve de guerre et sans enfant.
Candy avait bien sympathisé avec elles au cours de la traversée qui dura une semaine. Elles partagèrent leur engagement et les raisons qui les y avaient poussées. Pour Lise, c’était une façon d’honorer la mémoire de son mari qui était franco-anglais et était mort au combat dans la terrible bataille de Verdun il y a plus d’un an, en février 1916. Pour Allison, c’était une vocation de toujours aider les autres, elle voulait aussi faire son devoir. Quant à Jennifer, elle espérait retrouver son fiancé parti à la guerre mais porté disparu. Candy sentit une sorte de communion d’esprit avec ces trois filles dont deux avaient beaucoup souffert avec la séparation de l’amour de leur vie. Elle prit pleinement conscience qu’elle n’était pas seule à souffrir, ce qu’elle savait déjà, mais de se confronter directement à la peine des autres avait quelque chose de réaliste, de concret qui lui permit de moins s’apitoyer sur elle-même. Elle éprouvait même de la honte de s’être laissée déprimer ainsi depuis quelques mois ; après tout, elle était en vie et en bonne santé, deux raisons déjà suffisantes pour être contente de ce qu’offrait la vie.
Durant la traversée, elles eurent des « cours » sur les spécificités des blessures de guerre, les risques d’infections, de gangrène gazeuse, comment traiter ou plutôt soulager au mieux ceux qui avaient été exposés aux attaques de gaz, sans parler des soldats traumatisés par tout ce qu’ils avaient subi ou vu. En fait c’était inutile pour Candy qui avait déjà reçu une préparation mais elle y participa tout de même apportant accessoirement ses propres connaissances. Bref on voulait aussi préparer au mieux le personnel, au choc qu’ils risquaient d’avoir eux-mêmes en arrivant sur le terrain.
Enfin elles débarquèrent en France et rejoignirent un hôpital auxiliaire situé sur l’arrière des lignes de front dans le sud du département de l’Aisne, près de Château-Thierry à environ 42 km de Soissons donc plus au sud que ce qui était prévu initialement mais dans une zone libre beaucoup moins dangereuse. L’hôpital qui était un ancien couvent en pierres dominait la ville assez proche. De la fenêtre de sa chambre, Candy apercevait la cité, au loin la Marne qui serpentait et en face, les collines. L’ensemble de l’installation plutôt bien agencé était constitué d’un grand bâtiment servant d’église, de plusieurs annexes contiguës à ladite église. Au rez-de-chaussée on trouvait le réfectoire, les cuisines, une blanchisserie, une salle de bains, un cellier et l’écurie. Au premier étage se trouvaient une quinzaine de chambres comportant cinq ou six lits chacune, d’un long corridor, au-dessus un grenier servait à entreposer du matériel et des victuailles non périssables, le tout était couvert de tuiles. La cour, au milieu, était entourée d’un cloître et un grand parc entourait les bâtiments. Un potager avait même été implanté produisant des légumes et des poules fournissaient des œufs et accessoirement de la viande, ce qui n’était pas du luxe en temps de guerre où les denrées se faisaient rares et étaient de plus en plus onéreuses. Le mobilier était simple et fonctionnel. Au final, le cadre n’était pas désagréable, il restait à voir comment le travail allait s’organiser.
Le centenaire de la Grande Guerre m’a inspiré cette tournure d’évènements, une façon aussi de rendre hommage à tous ces pauvres soldats, des deux côtés d’ailleurs, qui ont subi les pires horreurs ainsi qu’un hommage à tous les volontaires de La Croix Rouge qui risquent aussi leur vie dans tous les conflits.
Antlay et Vera Garcia avaient bien deviné, Albert est arrivé trop tard ! Vous savez que j’aime bien compliquer un peu la vie de notre couple préféré ! 😆 Alors quand vont-ils se retrouver ?
Tous mes remerciements pour vos commentaires bibi2403, alexia001, Isabelle, Antlay, Ms Puddle, Reeka, Vera Garcia et Tasia, ce sont vos mots d’encouragement qui me fournissent de l’énergie !
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Notes :
(1) Extrait d’une chanson “Biodh An Deoch Seo ‘N Làimh Mo Rùin” Arranged by Julie Fowlis,
(2) La ville de Saint-Nazaire est le plus important port de débarquement des troupes américaines. C’est à Saint-Nazaire que débarquent les premiers contingents de soldats.
(3) Personnages inventés.
(4) Le Chemin des Dames se situe dans le département de l’Aisne entre Soissons et Reims. Il est entré dans la mémoire collective pour avoir été le théâtre de plusieurs batailles meurtrières de la Première Guerre mondiale. Son nom vient des Dames de France Victoire et Adélaïde, filles de Louis XV qui, venant de Paris, se rendaient fréquemment au château de La Bove. Sources : https://fr.wikipedia.org/wiki/Chemin_des_Dames
(5) Gare d’Orléans actuellement appelée La gare de Paris-Austerlitz, dite aussi gare d’Austerlitz, est l’une des six grandes gares ferroviaires de Paris, située sur le bord de la Seine (rive gauche) dans le quartier de la Salpêtrière du 13e arrondissement. http://paris1900.lartnouveau.com/paris13/gare_austerlitz.htm
(*) Paroles et traduction de «My Heart Will Go On»
My Heart Will Go On (Mon Coeur Continuera De Battre)
Every night in my dreams I see you, I feel you
Toutes les nuits dans mes rêves je te vois, je te ressens
That is how I know you go on.
C’est comme ça que je sais que tu existes.
Far across the distance and spaces between us
Malgré la distance et l’espace entre nous
You have come to show you go on.
Tu es venu pour montrer que tu existes.
[Chorus]
[Refrain]
Near, far, wherever you are,
A côté, loin, qu’importe où tu es,
I believe that the heart does go on.
Je crois que le cœur continue de battre.
Once more you open the door
Une fois de plus tu ouvres la porte
And you’re here in my heart,
Et tu es là dans mon cœur,
And my heart will go on and on.
Et mon cœur continuera de battre à jamais.
Love can touch us one time and last for a lifetime,
L’amour peut nous toucher une fois et durer toute une vie,
And never let go till we’re gone.
Et ne plus disparaître jusqu’à ce qu’on parte.
Love was when I loved you, one true time I hold to
L’amour c’était quand je t’aimais, un instant vrai auquel je m’accroche
In my life we’ll always go on.
Dans ma vie nous existerons toujours.
[Chorus]
[Refrain]
You’re here, there’s nothing I fear
Tu es là, je n’ai plus peur de rien
And I know that my heart will go on.
Et je sais que mon cœur continuera de battre.
We’ll stay forever this way,
Nous continuerons comme ça pour toujours,
You are safe in my heart,
Tu es en sécurité dans mon cœur,
And my heart will go on and on.
Et mon cœur continuera de battre à jamais.
Coucou Candybert,
Eh bien, que de rebondissements dans ta fic.
Je parie qu’il y en aura encore plein
A très vite pour la suite.
Bises
Alexia.
Coucou alexia001!
Merci pour ton message, pour les rebondissements, il faut bien vous garder éveillés! 😆
Bisous
Coucou Laure Saint-Yves !
Tout d abord je te souhaite un bon rétablissement. J espère que ça ira mieux très vite. Puis merci pour ce 2 ème chapitre!
Je m en doutais un peu qu Albert n arriverait pas à temps sniff! Son déchirement m a fait mal au coeur, le pauvre! Mais il a su réagir très vite! Le voilà embarqué et comme cuisto lol. Maintenant il ne lui reste qu a retrouver Candy en traversant la France!
Mon pauvre Albert ce qu il voit et les récits qu il entend ne l aide pas à aller mieux, et la peur et l angoisse grandissent!
J ai bcp aimé le fait que Candy l entende mais qu elle croit rêver…Cette fois ci c était Albert sur le quai et Candy sur le bateau! Et non Terry!
Hâte hâte de lire la suite! Des chapitres toujours aussi haletant! Merci au plaisir de te lire encore Laure Saint-Yves!!!!
Coucou Tasia!
Merci pour tes bons vœux de rétablissement ainsi que ton gentil commentaire.
Eh oui, cela n’allait pas être si facile, il faut bien un peu de suspense! 😆 Et les angoisses ne rendront les retrouvailles que meilleures! 😉
Bravo! Tu as bien deviné le parallèle que j’ai utilisé entre Candy/Terry quittant l’Angleterre et Albert/Candy quittant l’Amérique.
Je vais essayer de profiter de ma convalescence pour écrire un peu, au moins cela me distrait.
Oh dear Laure Saint-Yves, first and foremost, I’m shocked ? and terribly sorry to hear that you were hospitalized! ? I hope you’re better now? Anyway, speedy recovery!
I can hardly believe you could publish such a detailed update to your story! I know you have it written already, but still it’s incredibly informative. Congratulations! I really like how Albert crossed the ocean despite all odds. He made his own decisions without anyone’s approval! Right on! So I wonder when he will finally meet Candy? Possibly not next chapter yet? Candy on the other hand would make herself useful, just like she had always wanted. It was her vocation after all… I just hope that neither Albert nor Candy would get seriously injured ?… Oh well, take care, my friend! ?
Thank you for your kind words, my friend! ?
Yes, Albert is a big boy and can make his own decision above all when Candy is involved and possibly in danger! He would do anything for her! Sigh!…
Candy always forgot her pains by caring after others, you’re right, Ms Puddle it was her vocation.
About their meeting, Albert has to search for her first, since she wasn’t exactly where he was said! But I promise I won’t make you wait too much!
Take care as well, my friend! ?
Bonsoir Laure Saint-Yves
Oui j’avais vu juste, te connaissant je me doutais que Candy et Albert n’allaient pas se retrouver aussi facilement, il fallait pimenter l’histoire.
C’est un chapitre brillamment écrit, entre autre la détresse d’Albert quand il arrive trop tard sur les quais.
Donc les voici tous les deux en France, dans l’enfer de la grande guerre. J’avais entendu parler du chemin des dames mais j’ignorais que cela se trouvait dans l’Aisne. C’est toujours un plaisir de te lire, c’est très instructif.
Je me demande ce que tu as prévu pour Albert, soit il s’engage dans l’armée ou pour la Croix Rouge, sachant qu’il a des connaissances médicales (passage en Afrique) pour retrouver plus facilement Candy.
Prends tout ton temps pour écrire la suite de l’histoire, j’espère que depuis le début de semaine ta santé s’est améliorée. Repose ton bien et revient nous au top de ta forme.
Gros bisous.
Ah ! Je me demande comment la Tante Elroy va réagir en apprenant qu’Albert est parti en France pour retrouver Candy…
Vous ne le saurez pas tout de suite, vu que le début de l’histoire sera essentiellement centrée sur Candy et Albert, je parlerai beaucoup moins des autres personnages mais je pense que cela n’est pas trop dur à imaginer…
Bonsoir Antlay!
Merci de tes gentils mots! Eh oui, cela n’allait pas être aussi facile pour notre couple préféré, tu me connais trop bien! 😉 Tu dois savoir aussi que j’ai quelques chapitres en réserve mais qui doivent encore être peaufinés avant d’être publiés, juste de quoi vous faire languir un peu aussi! Tu vois mon côté taquin est resté intact! 😆
La bataille du chemin des dames s’est effectivement déroulée dans l’Aisne, un des département les plus touchés par la Grande Guerre et qui en porte encore certains stigmates.
Bon weekend et gros bisous.
Tu as raison car plaisanter et taquiner sont de bons remèdes à un prompt rétablissement ! ?
Bonne semaine à bientôt.
Gros bisous.
Oh dear Laure Saint-Yves, I hope nothing serious happened and you’re fully recovered soon. 🙁
Yet, you managed to write this insanely detailed chapter. Bravo! I’ll be honest to you, a story about Candy/Albert joining the war has never been my preference. Because it’s not good for my heart. But I know for sure, yours is worth to read. So please, have a little mercy for our blonde couple, will you? 🙂
So? They’ll be running into each other in Soissons? I did actually google where Soissons is exactly. ^^. I hope Albert is able to convince Candy to go home to America. Oh well, it won’t be that easy, I bet.
I look forward to the next chapter, my dear. Take a good rest and stay healthy!
Thank you Reeka! It will be long to fully recover and I will have to be patient!
Fortunately I had written this chapter before I was hospitalized so, I just had to publish it!
I understand your sentiment about a story in the middle of war, I know I took a risk and I hope I will manage to keep your interest, futur will said us! 😉 Anyway, don’t be too worry I write only happy ending stories even if path is sometimes rough!
In fact Albert thought Candy was near Soissons but she was near Chateau-Thierry that is about 42 km (26 miles) in the south of Soissons.
Take care as well!
Encore une fois, tu nous tiens en haleine ! Prends le temps de bien te remettre en santé, nous saurons attendre, même si nous avons hâte à la suite comme toujours. Prompt rétablissement.
Merci Isabelle pour tes bons vœux de rétablissement.
Quant à l’histoire, je sais que je fais durer le suspense mais cela n’en sera que meilleur ensuite! 😉
Bravo et vivement la suite. Bon courage et rétablissement à toi
Merci bibi2403!