Chapitre 19: le plan de Georgiana

La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.

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Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.

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Un chapitre pour finir l’année avec tous mes remerciements pour votre fidélité ainsi que les commentaires laissés, j’apprécie tout particulièrement les remarques précises et détaillées, mais aussi vos questions montrant votre intérêt. Nous avons dépassé les 100 000 mots et il y en aura encore bien d’autres à venir.

Je vous souhaite à toutes et à tous une excellente nouvelle année qu’elle soit riche de bonheur, d’amour, de santé et de prospérité.


La sonate de l’amour

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« On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux ».

(Le petit prince)

– Antoine de Saint-Exupery, –

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Chapitre 19 : le plan de Georgiana

Le lendemain de sa rencontre avec Lizzie au Mont Oahkam, Darcy accompagna sa sœur à Longbourn comme prévu. Charles en profita pour visiter sa fiancée, tandis que Caroline annonça qu’elle resterait à Netherfield à cause d’une migraine, quant à savoir si elle était réelle, seule Miss Bingley le savait. Avant de partir, Georgiana, qui désirait révéler les qualités de son frère aux yeux d’Elizabeth par tous les moyens, pensa que ce serait un bon point de mettre en valeur ses talents de pianiste, et puis la musique n’était-elle pas l’une des nourritures de l’amour ? (1)

Elle l’approcha discrètement tandis qu’ils étaient dans le vestibule en se préparant pour sortir, profitant que Bingley était suffisamment loin d’eux.

– Fitzwilliam, peut-être pourriez-vous aussi jouer un morceau au pianoforte ? demanda-t-elle avec espoir.

Darcy leva les yeux du gant qu’il était en train de mettre et regarda sa sœur, un peu étonné par sa demande.

– Georgie, cela ne me dérange pas de jouer avec ou devant vous dans l’intimité, mais vous souvenez-vous que notre père ne voulait pas que je me produise en public ?

– Ah ! oui, c’est vrai, répondit-elle déçue.

– Alors pour respecter sa mémoire, je ne peux pas jouer devant des étrangers à la famille, expliqua-t-il avec douceur.

– Oui, bien sûr, je comprends, dit-elle résignée.

Georgie était ravie de revoir Miss Mary pour jouer de la musique avec elle, mais surtout de revoir Miss Elizabeth et de la mettre en rapport avec son frère afin de commencer à appliquer son plan.

Mrs Bennet les reçut avec des effusions exagérées qui mit les Darcy mal à l’aise. Jane et Charles, voyant cela, canalisèrent l’attention de la matriarche avec les préparatifs du mariage, laissant les Darcy en compagnie d’Elizabeth et Mary qui se dirigèrent vers la salle à musique. Lydia et Kitty n’étaient pas encore revenues de leur visite chez Harriet et Penny Harrington.

Georgiana, voyant son frère se diriger vers la causeuse qui était à une distance respectable du pianoforte pour leur donner un peu d’intimité, prit Elizabeth bras dessus, bras dessous et, surprise par sa propre audace, parla de la pluie et du beau temps tout en l’emmenant devant le siège libre du même canapé, pensant que ni elle, ni Fitzwilliam pourraient aller ailleurs sans paraître impolis, puis elle se désengagea pour aller rejoindre Mary. Un fugace coup d’œil vers le couple lui confirma sa théorie et elle cacha un sourire satisfait tandis qu’elle prenait sa place à côté de Mary.

Alors que Georgiana et Mary répétaient ensemble une pièce de Mozart à quatre mains, Darcy et Elizabeth se retrouvèrent donc côte à côte. Au début chacun écoutait en observant les deux jeunes filles en silence. Mais Darcy était à la torture, il sentait le doux parfum d’Elizabeth titiller ses narines, son cœur battait la chamade, il pensait qu’il ne pourrait jamais être serein en sa présence, pourtant il prit soin à ce que son visage ne révélât rien de ses tourments intérieurs. Il devait absolument trouver un sujet de conversation pour dominer ses sens stimulés par sa trop féminine présence.

Lizzie n’était pas encore à l’aise en sa compagnie malgré leur discussion de la veille. Après s’être mutuellement excusés au sommet du Mont Oakham, Mr Darcy avait parcouru le sentier de retour avec elle en tenant Pégase par la bride jusqu’au moment où leurs chemins se séparèrent. Darcy avait encore parlé du plaisir que sa sœur éprouvait à avoir fait sa connaissance et celle de Mary et s’était montré globalement des plus charmants. Pourtant, il était difficile pour elle de voir un autre homme que le froid et hautain gentleman qu’elle avait connu dans le Kent, surtout lorsqu’il restait ainsi, comme à cet instant, rigide et silencieux. Elle commençait à se dire que ce dernier était de retour – ou bien était-ce le frère qu’elle connaissait, plutôt que le jumeau plus gentil qu’elle avait imaginé lors de sa première visite ?- lorsqu’elle l’entendit lui adresser la parole. Surprise, elle se demanda s’il n’avait pas lu dans ses pensées. Elle tourna la tête vers lui et fut transpercée par son regard bleu saphir. Il y avait tellement de douceur, mais aussi une certaine tristesse dans ses yeux qu’elle en fut quelque peu troublée, juste un instant. Mr Darcy avait vraiment de beaux yeux.

– Vous intéressez-vous à la peinture, Miss Bennet ? lui demanda-t-il doucement pour ne pas déranger les musiciennes.

– Oh oui, Mr Darcy, même si je ne suis pas douée pour dessiner ou peindre, dit-elle en souriant, cela ne m’empêche pas d’apprécier le talent d’autrui. Tout comme Lady Catherine, j’ai un goût fort développé pour la peinture seulement… pas dans le même style, ne put-elle s’empêcher de répondre avec espièglerie, mais sans volonté de blesser. Darcy émit un petit rire, un son que Lizzie trouva plaisant.

– Si je puis me permettre une confidence, je n’ai pas les mêmes goûts pour le faste que ma tante, non plus, répondit-il sur un ton empreint d’humour. Avez-vous déjà eu l’opportunité de voir des peintures de Constable ?

– Juste une seule fois à Londres lors d’une exposition à la Royal Academy (2), ses paysages sont magnifiques et si novateurs.

– En effet, il possède une approche pour le moins originale, je l’ai eu comme professeur à Cambridge (3). Savez-vous qu’il considère la peinture comme une science, qui devrait être une constante recherche des lois de la nature ?

– Et après tout, pourquoi ne pas considérer la peinture des paysages comme l’une des branches de la philosophie de la nature, dont les expériences ne seraient autres que des tableaux ? (4) J’adore la façon dont il peint les cieux nuageux.

– Constable les étudie comme le plus insaisissable des phénomènes du monde et cherche à déterminer l’informe (4). Il a fait une recherche sur la science des nuages, leur composition, leur formation.

Lizzie avait toujours du mal à appréhender ce nouveau Mr Darcy. Elle avait tellement coutume de lui trouver tous les défauts qu’elle s’était surprise de ne pas avoir cherché à le heurter délibérément comme elle en avait eu l’habitude dans le Kent lorsqu’ils discutaient d’un sujet. C’était un progrès indéniable dans leur relation, en plus il avait exprimé des avis sur les travaux de ce peintre qu’elle partageait. Et maintenant qu’elle savait que ses regards n’étaient pas sur elle dans le but de rechercher ses défauts, Lizzie ne put s’empêcher d’admirer ses yeux, encore et encore. Ils possédaient une belle gamme de teintes qui oscillaient entre le saphir et le cobalt. Comme deux gemmes sublimés par d’épais cils noirs en guise d’écrin les rendant encore plus intenses et pénétrants.

Darcy, lui, ne fit que découvrir une raison de plus de l’admirer et de l’aimer, car elle avait un esprit ouvert à la nouveauté. Il découvrait aussi de nouveaux goûts en commun avec la jeune femme. Et puis ses beaux yeux sombres si pétillants l’ensorcelaient toujours autant. Ils continuèrent ainsi à échanger tranquillement dans un climat apaisé au sujet d’autres peintres et des arts en général, le son agréable du pianoforte et d’occasionnels petits rires de leurs sœurs en fond.

Puis le thé fut servi et le quatuor rejoignit les autres Bennet et Charles dans le salon. Georgiana était entre Mary et Elizabeth et profita de parler de son frère à l’insu de celui-ci. Elle lui expliqua que c’était un frère aimant, attentionné et comment il la protégeait toujours et la comblait de cadeaux. Alors que tous étaient occupés à discuter, elle raconta une anecdote pour les seules oreilles de Lizzie, dans laquelle Darcy n’avait pas hésité à aller voir le père de l’une de ses camarades du pensionnat dans lequel elle se trouvait jusqu’en juin dernier pour demander réparation. En effet, la jeune fille, une certaine Rose, l’avait prise en inimitié, elle se moquait toujours d’elle et lui jouait constamment de mauvais tours. Le dernier en date, elle avait déchiré son devoir de littérature juste avant le cours où elle devait le rendre au professeur, ce qui lui avait valu un zéro pointé et une punition pour travail non rendu. Lorsqu’elle était rentrée à Pemberley pour les vacances de Noël, elle avait fini par tout révéler à son frère qui la trouvait préoccupée. Darcy trouva que le dernier incident avait été beaucoup trop loin et il ne put supporter l’injustice subie par sa chère sœur. Il avait fini par résoudre le problème dès la rentrée, obtenant des excuses de la part de la jeune fille auprès de sa sœur et des explications au professeur. Après cela Rose la laissa tranquille et le zéro fut annulé. « Mon frère est mon héros », conclut Georgiana. Lizzie découvrait une autre facette de Darcy : le frère aimant et protecteur.

À la fin de la journée, Lizzie, Georgie et Mary s’appelaient par leur prénom et Mary invita à nouveau Georgiana à venir le lendemain terminer la mise au point de leur morceau de musique, ce que Darcy ne put refuser sous l’insistance également de Mrs Bennet trop heureuse de recevoir de si nobles gens, rien n’arrêtait la maîtresse de maison pour tenter de harponner le riche gentleman avec l’une de ses filles, et de préférence Lydia.

Mary était heureuse, car pour une fois elle avait été préférée à ses deux plus jeunes sœurs et par non moins qu’une jeune fille de la bonne société, elle se sentait ainsi mise en valeur. Elle n’était plus la fille ignorée des Bennet, la laissée-pour-compte et elle se montra moins désagréable avec sa famille.

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Le lendemain, alors que les Darcy étaient présents, ce fut l’arrivée des Gardiner. Darcy fut heureux de les présenter à sa sœur en lui expliquant que Mrs Gardiner était une ancienne voisine. Georgiana apprécia tout de suite le couple qui se montra chaleureux envers elle, mais sans les effusions excessives de Mrs Bennet et avec d’excellentes manières.

Les Gardiner informèrent Lizzie avec regret que le voyage prévu avec elle cet été devrait être écourté à cause des affaires de Mr Gardiner, par conséquent ils ne pourraient pas se rendre dans la région des lacs (5) comme prévu, mais qu’ils visiteraient le Derbyshire.

– Elizabeth, vous allez venir cet été dans le Derbyshire, mais alors il faut que vous veniez nous rendre visite à Pemberley, n’est-ce pas Fitzwilliam ? demanda Georgiana avec animation qui voyait là une belle aubaine pour l’aider à atteindre son but.

– Euh… Oui, bien sûr, vous serez les bienvenus Mr et Mrs Gardiner avec Miss Elizabeth, répondit Darcy pris de court.

– Merci beaucoup, nous sommes très honorés, répondit Mr Gardiner, mais nous ne voudrions pas nous imposer.

– Puisque c’est nous qui vous le proposons, ce n’est pas de l’imposition. De toute façon à l’été, certains jours, la maison est ouverte aux visites, dit Darcy qui voulait être aimable avec ceux considérés en dessous de sa condition, appliquant ainsi ses bonnes résolutions. Et puis, il appréciait sincèrement le couple Gardiner.

– Acceptez-donc Edward, Madeline, ce sera une belle opportunité pour Lizzie de rencontrer de riches gentlemen, s’exclama Mrs Bennet qui jeta un malaise dans l’assemblée.

– Et vu que nous y sommes attendus aussi fin juillet, dit Charles pour faire diversion, nous pouvons même nous arranger pour ramener Miss Elizabeth avec Jane et moi mi-août. Ainsi les filles pourraient rester davantage à profiter les unes des autres.

– Oh ce serait extraordinaire ! s’exclama Georgie.

Les Gardiner s’interrogèrent du regard avec Lizzie, mais ils ne pouvaient décemment pas refuser davantage sans risquer d’offenser Mr Darcy, tous le savaient. Et puis Madeline Gardiner rêvait de pouvoir visiter de près le beau domaine qu’elle avait tant de fois admiré de loin dans sa jeunesse, ce fut donc elle qui répondit.

– Eh bien puisque tout le monde conspire contre nous, dit-elle avec humour, nous acceptons avec un grand plaisir votre hospitalité, Mr Darcy, Miss Darcy.

– Oui, vous nous remercions du grand honneur que vous nous témoignez, ajouta Edward Gardiner. Elizabeth resta silencieuse, regardant tour à tour les participants à la discussion, les yeux ronds de surprise.

– Alors c’est entendu, nous vous attendrons à votre convenance. Aimez-vous la pêche, Mr Gardiner ? demanda Darcy.

– Oui, je m’y adonne chaque fois que mon temps libre me le permet, ce qui n’est pas si souvent, malheureusement.

– Eh bien, nous avons sur le domaine un ruisseau qui regorge de truites qui n’attendent que vous pour les taquiner un peu, dit Darcy avec un sourire.

Les dates coïncidaient parfaitement pour ce projet. Ainsi il fut décidé que Lizzie, son oncle et sa tante seraient attendus à Pemberley le 25 juillet, les Gardiner repartiraient deux ou trois jours après à Londres, vu que Jane et Charles, qui arriveraient à la même date, pourraient ainsi assurer un chaperonnage convenable à Lizzie. Ce qui résoudrait aussi le problème d’hôtesse, car Jane pourrait aider Georgiana, elle n’était pas encore censée jouer ce rôle pour son frère vu qu’elle n’avait pas encore fait son entrée dans le monde, mais en tout petit comité, c’était acceptable et personne n’y trouvait rien à redire. Les Bingley et Lizzie resteraient ainsi jusque mi-août. Georgiana était ravie.

Mrs Bennet se rendit compte d’un détail qui lui avait échappé avant. Si Lydia allait à la place d’Elizabeth, elle aurait plus de temps pour gagner l’attention de Mr Darcy ou de quelque autre gentleman de son rang, si celui-ci se montrait trop élusif. Elle essaya donc d’imposer Lydia à son frère et sa belle-sœur en disant que ce serait en compensation de son voyage manqué à Brighton, mais ceux-ci lui firent comprendre que ce n’était pas sa place en tant que benjamine et que ce séjour avait été promis à Lizzie depuis Noël. Bien évidemment, ils turent qu’ils préféraient amplement Lizzie à Lydia. Darcy fut encore une fois choqué de voir les agissements de Mrs Bennet et ressentit de la peine pour Lizzie qui manifestement n’était pas la préférée de sa mère, tant s’en faut.

Lizzie se sentit à la fois vexée et gênée par l’attitude de sa mère, mais elle fut étonnée une fois de plus par le comportement de Darcy. Elle n’aurait pas imaginé qu’il pût inviter les Gardiner qui étaient de simples commerçants, où étaient donc passés son arrogance et son mépris des gens de petite condition ? Il était allé jusqu’à les inviter à séjourner dans sa propre maison, il n’était pas obligé d’insister après qu’ils avaient décliné son offre et il aurait pu se contenter de leur accorder une simple visite d’une journée, cela aurait été parfaitement convenable, surtout qu’au départ c’était une idée de Georgiana. Les Gardiner connaissaient très bien les conventions, ainsi que leur place dans le monde et ne s’en seraient point formalisés, tout comme Elizabeth.

Cette dernière se disait de plus en plus que Mr Darcy avait vraiment changé, visiblement en ayant tenu compte de ses remarques. Elle se sentait à la fois flattée, mais aussi effrayée de posséder un tel pouvoir sur un homme de son rang. Elle ne regrettait toujours pas d’avoir refusé sa demande, car elle n’éprouvait pas d’amour envers le grand brun, mais maintenant elle ne le détestait plus, elle commençait même à l’apprécier, il avait montré des qualités jusque-là restées bien cachées. En ayant fait la connaissance de Georgiana, elle se rendit compte que son frère partageait sa timidité, que l’arrogance de l’homme était en partie de la réserve et de la timidité. Ses préjugés l’avaient bien fourvoyée. Elle se surprit même à anticiper sa visite dans le Derbyshire et pas seulement pour être avec les Gardiner et visiter une belle région qu’elle ne connaissait pas, mais aussi pour découvrir le domaine de Pemberley, dont elle avait entendu tant de louanges. Elle désirait également développer une amitié naissante avec les deux Darcy.

Quant à Darcy, il éprouvait des sentiments contradictoires au sujet de cette future visite. D’un côté, il était ravi de recevoir des personnes aussi intéressantes et surtout de faire plaisir à Georgiana en lui offrant de la compagnie, elle qui souffrait de solitude depuis presque un an. Il pensait qu’Elizabeth lui ferait le plus grand bien, elle était plus proche en âge que Mrs Annesley et sa sœur pourrait trouver en elle la confidente dont elle avait toujours rêvée. Mais d’un autre côté, il avait conscience que la présence d’Elizabeth à Pemberley ne l’aiderait point à la sortir de son cœur, bien au contraire, ce serait une douce torture de l’avoir si près de lui durant plusieurs jours, et dans sa propre maison, et faire taire ses sentiments. Maintenant que la jeune femme ne lui montrait plus d’hostilité et de dégoût, il lui serait encore plus difficile d’ignorer l’amour qu’il éprouvait toujours pour elle. Alors il souffrirait en silence, pour le bien de tous… sauf de lui-même.

O&P

De retour à Netherfield, Charles fut informé, par une Caroline contrariée de leur lenteur à revenir, de l’arrivée des Hurst. La sœur aînée de Charles, Louisa Hurst, et son mari descendirent de leurs appartements situés à l’étage où ils avaient fait une petite sieste. Ils saluèrent les Darcy avant d’aller tous s’installer pour un thé ou du porto et des biscuits. Louisa était une femme de taille moyenne, les cheveux châtains, des yeux bleus comme ceux de Charles et Caroline, elle n’était pas particulièrement jolie, moins que sa sœur en tout cas. Elle portait une tenue raffinée et jouait constamment avec ses bracelets. Son époux, Mr. Hurst, était un dandy indolent qui aimait la bonne chair, le vin, la chasse et les cartes.

Darcy avait beau trouver certains Bennet inconvenants, mais il ne supportait plus que Caroline jouât de la prunelle avec lui, ni ses mièvreries et les méchants potins qu’elle partageait avec sa sœur. Elles étaient encore en train de critiquer et de se moquer d’une de leur connaissance, pendant que Mr Hurst s’était déjà et à nouveau endormi sur un sofa. Georgiana pratiquait du pianoforte. Comprenant son malaise, Charles invita Darcy dans son bureau en dépit des protestations de Caroline qui voyait une fois de plus sa proie lui échapper. Ils s’installèrent chacun dans un fauteuil un verre de brandy à la main que Charles venait de leur servir.

– Alors dites-moi mon ami, comment vous sentez-vous à la veille d’un si grand jour ? demanda Darcy.

– À la fois heureux et nerveux.

– Je comprends, c’est une étape importante dans la vie d’un homme, mais vous devriez être heureux car vous éprouvez beaucoup d’affection l’un envers l’autre, répondit-il.

– C’est de l’amour vrai, Darcy ! Je vous souhaite de vivre ça un jour.

– Je vous remercie, Bingley, dit Darcy en pensant « moi aussi, si vous saviez à quel point, mais c’est impossible… ».

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Le soir, dans la chambre qu’elles partageraient encore cette dernière nuit, les deux sœurs aînées étaient émues et avaient beaucoup de choses à se dire, depuis certaines anecdotes marquantes de leur enfance qu’elles se remémoraient, jusqu’à la future vie de Jane qui l’attendait en tant que Mrs Bingley. Puis Jane demanda à Lizzie si elle était ennuyée de séjourner à Pemberley, mais cette dernière la rassura bien vite en lui rappelant que ses relations avec Darcy étaient maintenant apaisées – la veille elle avait raconté à Jane sa rencontre inattendue avec le jeune homme du Derbyshire au Mont Oakham -, de plus Georgiana était une jeune fille adorable.

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Le matin du grand jour pour Jane, Mrs Bennet s’était levée bien plus tôt que d’habitude, pensant que sinon tout ne serait pas prêt à temps, ses pauvres nerfs étaient à rude épreuve mais elle était contente de marier, enfin, et si bien, la première de ses filles.

Lizzie reçut une lettre de Charlotte, elle put la lire pendant que sa mère prodiguait ses derniers conseils à la future mariée, en privé.

Hunsford, le 9 juin 1815

Ma chère Eliza,

Je suis heureuse de savoir que vous avez fait un bon retour à Longbourn et que vous avez retrouvé toute votre famille en bonne santé. J’ai été tellement ravie d’avoir votre compagnie durant toutes ces semaines, vous me manquez déjà. J’espère que vous reviendrez tantôt me voir. Ici tout le monde va bien, Mr Collins est juste un peu contrarié car Sa Grâce est extrêmement mécontente que Mr Darcy n’ait visiblement pas l’intention d’épouser sa fille. Elle le soupçonne d’avoir été détourné de Miss de Bourgh par, je cite, « une horrible opportuniste ». Je crois simplement qu’elle ne supporte pas l’idée de voir son rêve se briser.

Par contre mon époux a été très honoré de recevoir ce matin une lettre du colonel Fitzwilliam lui disant qu’il avait beaucoup apprécié ses visites au presbytère ainsi que ses habitants (je crois savoir qui en particulier). Il est en excellente santé et vous transmet tous ses hommages. Il était sur le départ pour le continent et écrivait avoir hâte d’être de retour sur le sol anglais. Je vous laisse imaginer comment votre cousin s’est senti flatté d’une telle attention, l’attribuant à l’estime que doit lui porter un homme de son rang. Moi, je pense plutôt que c’est à quelqu’un d’autre qu’il doit cet égard…

En lisant cette dernière phrase, Lizzie pouvait entendre le ton taquin de son amie et sentir sur elle son regard plein d’espièglerie, elle avait parfaitement deviné l’intention de Richard. Charlotte était dotée d’un esprit très fin et se dit qu’elle aurait dû écouter l’avis de son amie, cela lui aurait évité bien des malentendus. Elle n’apprit donc rien de plus au sujet de Richard par rapport à ce que lui avait dit Mr Darcy. Elle sentit de l’angoisse, car il y aurait probablement une bataille et il serait en danger. Mais décidant qu’elle ne devait pas se laisser aller à la tristesse pour le plus beau jour de la vie de sa très chère Jane, elle reprit sa lecture pour ne pas se laisser envahir par l’inquiétude.

Mr Greenwood va mieux, il est enfin debout, lui et surtout ses enfants espèrent vous revoir bientôt.

J’imagine que Longbourn doit être très animé à l’approche du mariage, comme j’aurais aimé être parmi vous. Vous transmettrez tous mes vœux de bonheur à Jane, ainsi que mes salutations à toute votre famille.

Affectueusement,

Charlotte Collins

Après sa lecture, Lizzie vit sortir Jane du court entretien avec sa mère, elle était écarlate. Elle savait de quoi il avait été question et se dit qu’elle aussi y aurait peut-être bientôt droit. Elle avait une vague idée de ce qui pouvait se passer entre deux époux, après tout elle avait vécu toute sa vie à la campagne et avait pu observer à l’occasion l’accouplement des animaux de ferme, des chevaux, chiens ou chats. Elle ressentit alors un malaise. Elle ne put s’empêcher de songer à ce que cela impliquerait avec le colonel Fitzwilliam et l’idée la rebutait. Très gênée et honteuse de ses pensées impropres, elle secoua la tête comme pour s’en débarrasser, il serait bien temps d’y cogiter plus tard. Elle se força à sourire à sa sœur. Sa mère apparut à sa suite.

– Je me demande bien si j’aurai avec vous un jour cette conversation, Lizzie, car j’ai bien peur que vous ne finissiez vieille fille ! se lamenta Mrs Bennet avant de reprendre, allons hâtons-nous où nous ne serons jamais prêtes à temps ! Vous ne voudriez pas faire attendre votre futur époux, Jane chérie.

Les deux sœurs se regardèrent avec complicité, mais ne commentèrent pas.

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Jane était radieuse dans la plus belle robe qu’elle eût jamais portée, en soie bleu ciel avec de la fine dentelle et des perles incrustées, à la dernière mode de Londres. Mrs Bennet avait dépensé sans compter pour sa fille aînée et lui avait offert sa parure de perles pour l’occasion. Son père la mena à l’autel où l’attendait Bingley avec à ses côtés Darcy. Les deux hommes étaient très élégants dans leur bel habit, bleu roi avec un gilet noir et argent pour le futur époux, bleu nattier avec un gilet ivoire et argent pour le témoin du marié les deux portaient des pantalons longs et noirs.

Elizabeth avait mis une robe couleur jonquille. Elle était lumineuse tel le soleil aux yeux de Darcy. Il ne put s’interdire longtemps de penser qu’il aurait pu, lui aussi, être là devant l’autel avec elle à ses côtés dans cet hyménée. Il savait qu’il n’en avait point le droit, que théoriquement il avait fait ses adieux à cet amour, mais dans ce moment si émouvant qu’était l’union de son meilleur ami avec la sœur de Miss Elizabeth, ce fut au-dessus de ses forces. Cela resterait entre lui et le Créateur qui était toute miséricorde envers ses pauvres pécheurs. Durant un instant il tourna la tête vers la brunette en même temps qu’elle et croisa son regard au moment de l’échange des vœux des époux, il exprimait une profonde joie, probablement pour sa sœur. Elle lui sourit. C’était le premier sourire authentique et spontané qu’elle lui adressait, il comprit la différence avec ceux moqueurs ou pleins de défit ou encore d’espièglerie qu’elle lui avait adressés dans le Kent et son cœur passa un battement il crut en pleurer de joie, mais très vite la tristesse le rattrapa et agrippa son âme : elle ne serait jamais son épouse, seulement sa cousine et il devrait s’en contenter.

Comment survivre à cela ? « Seigneur, aidez-moi ! » implora-t-il silencieusement.

O&P

Après la cérémonie ce fut le déjeuner à Longbourn, copieux et opulent. Mrs Bennet avait voulu que l’on parlât de ce mariage durant fort longtemps comme ayant été le plus beau du voisinage, voire du comté, elle n’avait donc point épargné la dépense.

Georgiana et Mary avaient joué ensemble leur pièce à quatre mains qu’elles avaient répétée les jours précédents. Darcy fut très agréablement surpris de voir sa petite sœur se produire en public, aussi modeste fût-il. Grâce à deux des sœurs Bennet, elle avait réussi à sortir de sa coquille le temps de ce morceau de musique, et ce n’était pas peu à ses yeux. En contre-partie, il ferma les yeux et les oreilles sur le comportement toujours aussi peu adéquat des deux plus jeunes Bennet et de leur mère, toujours avec les commentaires sarcastiques du père.

Darcy essaya tant faire se peut d’éviter les tentatives de Caroline Bingley de l’accaparer avec ses minauderies toujours incessantes. Il l’avait pourtant confronté au sujet de l’utilisation abusive de son nom pour accéder aux meilleures maisons, espérant par la même occasion refroidir un peu ses attentions envers lui. Cela n’eut cependant pas l’effet escompté. Elle avait joué la carte de la flagornerie, encore, en déclarant qu’elle appréciait tant les Darcy qu’elle chantait leurs louanges dans les salons londoniens. Elle se sentait si fière et si flattée de faire partie de leur cercle d’amis, que c’était pour cela qu’elle avait cité le nom de Darcy. Elle avait bien sûr omis que c’était Charles l’ami de Darcy, pas elle.

Enfin, ce furent les adieux : ceux du couple Bingley qui partirent pour leur voyage de noces, ceux des Gardiner en route pour Londres et enfin ceux des Darcy qui repartirent pour le Derbyshire. Et tout redevint un peu plus calme à Longbourn, enfin comme d’habitude.

Chapitre 20

Nous savons maintenant que Lizzie est invitée à Pemberley, merci Georgie !


Notes :

(1) Une idée d’après une citation de William Shakespeare : ‘If music be the food of love, play on !’ (Twelfth Night – Act 1, Scene 1) que je traduirai par « Si la musique est la nourriture de l’amour, jouez ! »

(2) La Royal Academy of Arts est une institution britannique dont l’objectif est la promotion des arts visuels (peinture, gravure, sculpture, architecture…) par des expositions et l’organisation d’un enseignement et de débats. Elle a été fondée à Londres en 1768 par un acte personnel du roi George III.

Sources : wiki/Royal_Academy

(3) John Constable (1776 – 1837) est un peintre paysagiste britannique. Il a également été professeur à l’université de Cambridge (Angleterre). Je n’ai pas trouvé à quelle période exactement et quelle matière il enseignait, alors j’ai pris la liberté de supposer que Darcy aurait pu s’y trouver en même temps que lui. Il est considéré comme l’un des précurseurs de l’impressionnisme. Il fit sa première exposition à la Royal Academy en 1802, mais je ne sais pas si les femmes avaient le droit de visiter les expositions en 1810-1815, je n’ai pas trouvé cette info, si quelqu’un parmi vous le sait, SVP dites-le moi!

(4) Les phrases citées ici sont en partie empruntées à Constable. La philosophie de la nature représente les lois et les principes de la physique.

(5) La région des lacs ou Lake District en anglais, dont parle Jane Austen dans son livre, est aujourd’hui un parc national situé dans le nord-ouest de l’Angleterre qui fait partie du Cumbria (créé en 1974 ce comté regroupe les comtés traditionnels du Cumberland et du Westmorland, ainsi que des fragments du Lancashire et du Yorkshire). Avec ses 2 280 km2 de lacs et de montagnes, c’est le plus grand parc national anglais. On y trouve les montagnes les plus hautes d’Angleterre, dont Scafell Pike (978 m), son point culminant.

Sources : wikipédia

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