Chapitre 22: les manigances de Georgiana

La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.

O&P

Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.

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Merci beaucoup pour tous ces beaux commentaires qui me touchent beaucoup. À vrai dire, je n’ai pas prévu de publier à la vente cette histoire, car je n’ai aucune expérience en la matière et je ne suis qu’une « auteur amateur ». Enfin, je ne sais pas si beaucoup de personnes seraient intéressés de l’acheter, il y a tellement de variations d’O&P sur le marché, certes, beaucoup en anglais. Mais puisque la suggestion m’en a été faite, j’y réfléchirai…

En réponse à vos questions:

Guest: il n’est pas prévu que Darcy soit anobli.

Karine: j’ai vu tous vos commentaires sur mon blog True romantica et j’y ai répondu, pas d’inquiétude le dernier était au bon endroit, tout comme les autres! 🙂

Gab: trois demeures m’ont inspirée pour décrire Pemberley: Chatsworth House (ma préférée), Lyme Hall et Chiswick House. Quant à savoir ce qui va arriver à notre « triangle », il faudra encore de la patience 😉 Il reste encore une dizaine de chapitres à publier.


La sonate de l’amour

L’attirance entre pour les trois quarts dans la composition de l’amour, la raison étant le quatrième restant.

– Elizabeth Gaskell –

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Chapitre 22 : les manigances de Georgiana

Quand Darcy avait aperçu Elizabeth, son cœur avait passé un battement. Il s’était pourtant préparé à cette rencontre. Il s’était pourtant efforcé d’éviter de trop penser à la jeune femme ces dernières semaines, cependant, l’oublier complètement et ne plus y songer du tout était tout simplement infaisable. Il s’était perdu dans le travail pour détourner son esprit d’elle, mais Georgiana lui parlait souvent de sa correspondance avec Lizzie, comme elle l’appelait déjà intimement. Sa sœur était si impatiente de recevoir son invitée qu’elle avait commencé à planifier son séjour dès son retour au domaine et n’avait pas arrêté depuis, en le consultant continuellement durant le voyage qui les emmenait à Pemberley et chaque jour suivant, alors comment l’oublier ? Comment effacer cette empreinte qu’elle avait encore d’imprimée sur son âme et de gravée dans son cœur ?

Lorsqu’il avait saisi sa main pour l’aider à descendre de la voiture ce fut comme une brûlure, et il sut.

À ce moment tous ses sentiments étaient remontés à la surface comme la lave d’un volcan sur le point d’entrer en éruption, mais il s’était assuré de ne rien en laisser paraître et avait affiché juste ce qu’il fallait d’affabilité pour les accueillir, elle, son oncle et sa tante.

Maintenant, assis devant la cheminée dans sa chambre, les yeux fixés sur un feu imaginaire, un verre de brandy dans sa main, il ne pouvait que s’avouer la réalité.

Il était perdu.

Durant le tour de la maison, il s’était trouvé souvent près d’Elizabeth et il avait pu s’enivrer de sa beauté. Le teint de pêche de sa peau rehaussé par la caresse du soleil estival, ses beaux yeux brillants d’intelligence et de joie, ses cheveux qui attrapaient la lumière du jour chaque fois qu’elle passait près d’une fenêtre, les faisant chatoyer de mille nuances chaudes de bruns, d’acajous et de cuivres, ses lèvres rouges comme des cerises mûres prêtes à être dégustées, l’effluve de son parfum si délicat qui venait chatouiller ses narines… tout en elle éveillait des sentiments, des émotions et des sensations qu’il avait cru pouvoir étouffer un peu durant ces dernières semaines.

Quelle idiotie.

L’amour intense qu’il avait tenté d’enfouir au plus profond de lui-même, le souvenir de chacun des instants passés en sa compagnie, de leurs discussions qu’il avait essayé d’effacer et le désir physique qu’il s’était évertué à maîtriser, le tout était revenu amplifié avec une cruelle vengeance pour avoir été refoulé, négligé. Il se sentait tel un assoiffé devant une fontaine dont on lui interdisait l’accès. Et la remarque spontanée de la jeune femme : « Je pourrais passer ma vie entière dans cette pièce », n’avait fait qu’asticoter la blessure de son rejet tout en ravivant ses espoirs déçus… seulement l’espace d’un instant, car il avait vu sa gêne ensuite, en en comprenant parfaitement bien la raison.

Il ferma les yeux et inspira profondément. Comment allait-il survivre à son séjour ?

Des années d’entraînement à dissimuler ses émotions l’avaient aidé à garder la face. Il s’était donc montré le plus parfait des hôtes. Au moins il avait apprécié le réel intérêt de ses invités envers sa maison et l’histoire de sa famille, ils n’avaient même pas cherché à évaluer ses possessions comme beaucoup le faisaient. Oui, sauf que… il n’en aima la jeune brune que davantage encore, car à chaque rencontre elle lui paraissait encore plus spéciale et exceptionnelle. Et puis la voir évoluer ici, à Pemberley, c’était comme si elle appartenait à ces lieux, elle y était à sa place, elle était la lumière qui manquait à sa demeure, le feu dans son foyer.

Il but une gorgée et fronça les sourcils.

Comment allait-il rester loyal envers son cousin, demeurer fidèle à sa parole, écouter sa conscience et ne pas succomber à la tentation d’essayer de la courtiser à nouveau – cette fois comme il fallait – pour tenter de gagner son cœur ?

La réponse était aussi simple que douloureuse : elle ne l’aimait pas lui, mais Richard !

Cette réalité devrait lui donner la force de surmonter cette nouvelle épreuve qui était beaucoup plus difficile qu’il ne l’avait anticipée, car l’absence n’avait en rien amoindri l’amour qu’il éprouvait. Il n’était qu’un homme après tout et n’était point parfait même s’il avait fait de son mieux pour s’améliorer grâce à la jeune femme, il avait encore des moments de faiblesse.

Il avait choisi de les loger dans les meilleurs appartements de la maison, Miss Bennet ferait bientôt partie de la famille des Fitzwilliam, elle ne méritait pas moins de déférence, se disait-il comme pour s’excuser de cette attention particulière. Il avait bien remarqué l’air surpris de Mrs Reynolds lorsqu’il lui avait annoncé sa décision, mais elle n’avait fait aucune remarque.

Il escomptait que la présence de Charles l’aiderait à distraire sa pensée et ce fut donc avec un grand plaisir qu’il les avait reçus lui et son épouse… la sœur de… « Non, il suffit ! » s’admonesta-t-il. Mais il n’avait pas pris en considération une chose. Les jeunes mariés étaient radieux, ils transpiraient le bonheur qui émanait de chaque parcelle de leur être. Ils étaient main dans la main, souriants en se lançant des regards énamourés. Pendant un bref instant, son cœur s’était serré et la piqûre de la jalousie l’avait aiguillonné, car Darcy savait qu’il ne serait jamais le réceptacle d’un tel don de la vie. Il serait condamné à observer le bonheur de son meilleur ami, et Dieu le veuille celui de Richard avec… avec… la seule femme qu’il aimerait jamais.

Darcy avait été déchiré.

Il était resté un moment comme pétrifié, il s’était senti comme un étranger qui contemplait une scène de réunion familiale accompagnée de la joie qui allait de pair : Eliz… Miss Bennet, son oncle et sa tante qui embrassaient chaleureusement la nouvelle Mrs Bingley, Georgiana qui souriait et faisait ses premiers pas en tant qu’hôtesse – il était si fier d’elle -, Charles le bienheureux encore plus heureux que d’habitude. Toutefois, il s’était senti exclu de ce monde parfait, il avait eu l’impression très étrange et inconfortable d’être entré dans une sorte de transe l’extirpant de son propre corps.

Darcy revit l’échange qu’il avait eu avec son ami.

-Darcy ! … Darcy ? l’avait interpellé Charles avec perplexité.

– Euh… Oui ? avait-il répondu hébété.

– Vous sentez-vous bien mon ami ?

– Oh ! oui… oui bien sûr, Bingley, pardonnez-moi ma distraction, s’était-il ressaisi, sortant enfin de son état cathartique en serrant la main de Charles, bienvenue à Pemberley, Mr et Mrs Bingley. Comment allez-vous, avez-vous fait bon voyage ? Avait-t-il demandé en affichant un sourire.

– Oui, excellent, merci Mr Darcy, avait répondu Jane avec une petite révérence.

Les nouveaux arrivants avaient été ensuite conduits jusqu’à la chambre saphir pour se rafraîchir de leur voyage et rejoignirent la compagnie dans le salon bleu. Une discussion animée s’était installée au sujet du voyage des Bingleys, ce qu’ils avaient vu, qui ils avaient rencontrés… Puis ce fut le souper partagé dans la joie et les rires, lui, le seul convive faisant semblant d’être très heureux. Il était content pour ses invités, mais il y avait deux ombres dans son cœur : Richard pour lequel il était très inquiet et … enfin, il s’interdit de prononcer son nom.

O&P

Durant le repas, Lizzie ne put s’empêcher d’observer leur hôte à plusieurs reprises, il n’était pas placé juste à côté d’elle, mais elle pouvait constater qu’il semblait impassible, comme retranché derrière son masque de pierre avec de temps en temps un sourire forcé, et elle se demanda si quelque chose lui avait déplu ? Pourquoi était-il soudainement redevenu si taciturne ? Elle était perplexe. Peut-être pensait-il à Richard disparu ? Elle ressentit une tristesse à l’évocation de celui-ci. Ces pensées la tiendraient éveillée jusque tard dans la nuit qui serait agitée.

Après le repas, Georgiana joua quelques morceaux de musique, puis tous les invités se retirèrent de bonne heure fatigués par leur voyage. Pourtant, deux personnes eurent du mal à trouver le sommeil : Lizzie et Darcy.

O&P

En dépit du manque de sommeil, le lendemain matin Lizzie se leva tôt, avant toute sa famille. Elle avait envie de profiter des jardins avant le déjeuner en se dégourdissant les jambes et aussi pour éclaircir ses idées, elle choisit celui du sud. Darcy la vit passer par la fenêtre de son bureau, elle était magnifique baignée dans la lumière matinale, sa robe de mousseline couleur primevère seyait à sa carnation et laissait transparaître ses formes. Pourtant, il résista à l’envie de la rejoindre. Pourquoi se torturer ? Il devait absolument minimiser leurs interactions. Il se répéta silencieusement ses bonnes résolutions : il serait courtois et même accueillant, mais il garderait ses distances pour son propre salut. Georgiana avait de toute façon prévu pas mal d’activités à partager avec son invitée de cœur et sa sœur, Mrs Bingley. Ce qu’il ignorait c’était que Georgie avait comme projet de faire tomber Lizzie amoureuse de lui et donc de les mettre en contact le plus possible.

Lizzie sentait de l’exultation. Elle traversa un jardin semi-circulaire à l’italienne, bordé d’arbres à feuillage persistant, avec des parterres de fleurs aux formes géométriques, une fontaine de pierre en son centre et des urnes à la périphérie. Deux lions qui se faisaient face en gardaient l’entrée. L’endroit était superbe et bien entretenu, d’ailleurs elle croisa deux jardiniers à la tâche profitant des heures les plus fraîches de la journée pour en faire l’entretien quotidien, en l’occurrence ils collectaient les têtes des fleurs qui s’étaient fanées depuis la veille probablement. Elle les salua gentiment. En passant sur un petit pont de pierre qui enjambait un ruisseau, elle aperçut une serre au fond et un labyrinthe végétal sur sa droite, elle aurait bien l’occasion de les visiter durant son séjour, alors elle s’enfonça plus loin vers le parc en longeant un mur qui devait abriter un autre jardin qui distillait un parfum de roses. Il y avait déjà tant à explorer de ce côté et pourtant ce n’était qu’une toute petite partie du domaine. Après une bonne heure de marche, elle se sentit mieux et elle rejoignit ses compagnons qui venaient de se lever.

O&P

Au programme de cette belle matinée, les Darcy avaient prévu un déjeuner sur l’herbe suivi d’une partie de pêche pour les hommes et d’un jeu de volant (1) en équipe pour les dames : Georgiana et Lizzie affrontaient Jane et sa tante. À quelques pas de leur terrain de jeu, Darcy, Charles et Mr Gardiner pêchaient tranquillement en discutant. Ils n’avaient pas fait beaucoup de prises, juste deux truites, une carpe et un brochet, les poissons devant être dérangés par les cris et les rires joyeux des joueuses, au contraire de ces messieurs, car écouter les dames s’amuser ainsi était une grande joie pour chacun d’eux. L’équipe des deux plus jeunes femmes menait par quelques points, puis soudain Georgiana perdit l’équilibre, en fait elle avait fait semblant de se tordre la cheville pour appeler son frère à la rescousse qui vint aussitôt. Assistée par Lizzie et Darcy, la jeune « blessée » fut transportée jusqu’à l’un des sièges des pêcheurs. Jane et Madeline Gardiner, inquiètes pour leur hôtesse, les suivirent.

-Georgie ! où avez-vous mal ? demanda son frère inquiet.

– Je me suis tordu la cheville.

Elizabeth s’accroupit et vérifia, discrètement afin de préserver sa modestie, l’état du pied de la jeune fille.

– Je vais vous ramener à la maison, dit Darcy.

Georgiana ne pouvait pas permettre ça. Elle leva les yeux vers son frère en secouant la tête et ouvra la bouche pour dire quelque chose mais fut devancée par Elizabeth.

– Je ne sens pas d’enflure, dit Lizzie, cela vous fait-il mal Georgiana ?

– La douleur n’est pas très importante, il n’est pas nécessaire que je rentre, juste un peu de repos ici suffira.

– En êtes-vous sûre, ma colombe ? demanda Darcy.

– Oui, absolument ! répondit-elle fermement.

– Qu’en pensez-vous Miss Bennet, cela vous parait-il raisonnable ? s’enquit-il dubitatif.

– Ne vous inquiétez pas, Mr Darcy, je ne vois rien de sérieux, répondit Lizzie d’une voix ferme et rassurante, mais la partie est terminée pour aujourd’hui.

– Oh non, ce serait dommage Lizzie, nous étions sur le point de gagner, s’écria la jeune blonde, mais mon frère sait jouer puisqu’il a déjà fait des parties avec moi, il peut donc prendre ma place, n’est-ce pas Fitzwilliam ? demanda Georgiana en regardant son frère les yeux implorants.

– Georgie, je… je ne sais pas si c’est une bonne idée, dit celui-ci embarrassé en se frottant la nuque.

– Mais si voyons, je suis certaine qu’au sein de notre petit comité personne n’y verra rien d’inapproprié ? elle questionna ses invités du regard, l’air innocent.

– Mr Darcy vous pouvez vous joindre à nous, nous n’y voyons aucun souci, dit Mrs Gardiner, même si cela nous ôte toute chance de gagner, finit-elle avec humour provocant le rire de tous.

– N’en soyez pas si sûre, Mrs Gardiner, dit Darcy qui ne put résister à la bonne humeur générale et aussi soulagé que sa sœur ne s’était pas sérieusement blessée, car je n’ai que peu d’entraînement, et j’espère ne pas être un trop grand désavantage pour vous, Miss Bennet.

– N’ayez crainte, Mr Darcy, je relève le défi bien volontiers avec vous, répondit Lizzie avec espièglerie.

– Je vois que l’attrait des ladies est plus fort que celle des poissons, dit Charles taquin.

– Vous avez raison Bingley, et aucune chance que nos masculines personnes ne souffrent la comparaison, déplora Mr Gardiner avec un ton faussement offensé. Si seulement nous avions pu pêcher quelque sirène nous aurions eu plus de chance de garder Mr Darcy avec nous, termina-t-il avec humour faisant éclater de rire l’assemblée.

Elizabeth fut éblouie par le large sourire, authentique cette fois-ci, qu’afficha Darcy révélant ses deux belles fossettes sur ses joues. Il avait l’air si charmant ainsi qu’elle en eut un frisson qui lui parcourut l’échine. Mais qu’était-ce donc que cela ? se demanda-t-elle troublée. Elle était également touchée de le voir aussi préoccupé par le bien-être de Georgiana, il était manifestement un frère très attentionné.

Afin de faciliter ses mouvements et aussi à cause de la chaleur, Darcy tomba la veste qu’il portait habituellement pour la chasse ou la pêche et se retrouva en chemise et gilet après s’être assuré de ne point heurter la sensibilité des dames, puis le jeu reprit. Après quelques échanges et deux points rattrapés par l’équipe adverse, le jeune homme osa un coup d’œil sur Lizzie. Il eut le souffle coupé en observant le mouvement rapide de sa poitrine que sa respiration haletante due à l’exercice provoquait et il y avait toujours ce grain de beauté. Il détourna vite le regard en sentant une brusque chaleur, qui n’était due ni au soleil, ni au jeu, l’envahir. Cette brève inattention eut pour conséquence de lui faire manquer le volant qui atterrit à ses pieds.

– Ah, Mr Darcy ! votre distraction nous a coûté un point supplémentaire, le taquina Lizzie.

– Pardonnez-moi, Miss Bennet, dit-il penaud tout en ramassant l’objet de sa déconfiture, je promets de m’appliquer davantage, ajouta-t-il encore plus rouge dû à la honte en plus de l’exercice.

– Ne vous y sentez surtout pas contraint, dit Jane en riant, nous ne sommes plus qu’à un point de l’égalisation !

Les échanges continuèrent dans la bonne humeur et Darcy réussit à se concentrer plus ou moins sur… le jeu. Enfin la manche et le match furent remportés par l’équipe mixte à leur plus grande joie. Lizzie et Darcy se regardèrent et se congratulèrent mutuellement. Une boucle de cheveux était tombée sur le front de l’homme et Elizabeth ressentit une brusque envie de la remettre en place. Il avait de si beaux cheveux noirs, épais, brillants et maintenant ébouriffés par l’activité due au jeu, cette mèche rebelle l’invitait provoquant de la confusion chez la brunette. Et quoi de plus distrayant qu’un Mr Darcy en bras de chemise ? Elle s’attarda à contempler discrètement son torse en V avec de larges épaules et des hanches étroites. Il n’avait pas qu’un beau visage, sa silhouette toute entière était un exemplaire de beauté masculine, un véritable Apollon. Il n’était assurément pas un gentleman oisif. Heureusement qu’elle n’avait pas fixé son attention sur le physique de leur hôte avant de reprendre le jeu, autrement cela aurait été sans doute une trop grande distraction qui aurait pu les faire perdre. Sa rêverie fut interrompue par l’équipe adverse qui venait les féliciter.

Georgiana qui était restée en observatrice attentive avait remarqué le léger trouble de Lizzie et en fut ravie : son plan était en train de fonctionner. Entre-temps Mr Gardiner était fier d’avoir fait une très belle prise.

– Voilà bien une magnifique truite, le félicita Charles, ce n’est toujours pas une sirène, mais elle me parait plutôt appétissante.

– En effet, et maintenant avec nos autres prises nous aurons de quoi tous nous régaler pour le dîner, déclara Edward Gardiner avec satisfaction.

– Avec votre permission, je vais de ce pas les faire porter en cuisine, dit Darcy en faisant signe à l’un des valets de pied qui les avaient accompagnés.

– Faites donc, Mr Darcy, il est de toute façon temps de rentrer nous préparer pour le repas, déclara Madeline Gardiner.

Le groupe s’apprêta à se diriger vers la maison. Pour un instant Georgiana oublia que sa cheville devait être endolorie et fit quelques pas avant d’apercevoir le regard soupçonneux de Mrs Gardiner, ce qui lui fit rappeler qu’elle devait demander le support de son frère, alors elle se reprit tout en grimaçant un peu et en se reprochant à voix haute son inattention qui aurait pu empirer sa situation.

O&P

La fin de la matinée (2) fut réservée à la visite du parc, deux options avaient été proposées : une balade pédestre ou en calèche. La dernière remporta les suffrages, car autrement Georgiana aurait dû rester à la maison et puis Mrs Gardiner était un peu fatiguée. De plus, une beaucoup plus grande partie du parc – dont la circonférence faisait dix miles (3) – pourrait ainsi être explorée. Les Darcy ne possédaient qu’une seule calèche à quatre places, mais le maître de Pemberley, prévoyant qu’il était, avait emprunté pour l’après-midi celle de Lord _ l’un de ses bons voisins. Ainsi deux équipages furent organisés, Georgiana s’était arrangée pour inviter Elizabeth avec elle et son frère dans leur véhicule, au grand dam de celui-ci qui aurait préféré rester éloigné de la source de tous ses tourments, mais comment l’éviter ? Les Gardiner et les Bingley se retrouvèrent donc dans la voiture de Lord _. Lizzie et Georgie s’assirent sur la banquette arrière les plaçant ainsi dans le sens de la marche et Darcy prit place en face de sa sœur. Le cocher claqua le fouet mettant en marche les deux chevaux de l’attelage. Ils traversèrent d’abord les jardins structurés que Lizzie avait visités le matin même. Darcy et Georgiana expliquèrent à tour de rôle l’origine de chacun d’eux, le jardin de roses caché derrière les murs avait été créé par Lady Anne – sa visite serait effectuée une autre fois -, le labyrinthe avait été une idée de leur grand-mère paternelle… Puis très vite ils s’enfoncèrent dans un espace plus sauvage : des bois, des prairies fleuries, un ruisseau… Que de chemins possibles à arpenter, le domaine était vraiment splendide, Lizzie était enchantée.

– Comment trouvez-vous le domaine, Miss Bennet ? ne put s’empêcher de demander Darcy en voyant l’expression ravie de la jeune femme. Il avait gardé ses yeux rivés sur le paysage jusqu’alors, et s’était juste tourné vers ses compagnons en s’étant rendu compte de leur silence

– Tout simplement magnifique, je le préfère à tous ceux que j’ai pu visiter jusqu’à présent, y compris Rosings, répondit Lizzie avec sincérité.

– Alors vous l’aimez vraiment ? demanda Darcy ravi de ce compliment.

– Qui ne pourrait l’apprécier ?

– Mais vous n’êtes pas de nature complaisante, c’est pourquoi votre jugement m’importe tant.

– Il faudrait que l’on aille jusqu’à la cascade, proposa Georgiana, pensant à une possible situation romantique.

– Une cascade ? j’avoue que l’idée me tente assez, dit Lizzie les yeux brillants.

– Mais c’est en dehors du parc et il y a trois quarts d’heure de route pour y arriver. Miss Bennet, pensez-vous que votre tante endurerait l’aller et le retour ?

– Peut-être vaudrait-il mieux le lui demander.

Après concertation avec leurs compagnons, l’escapade jusqu’à la cascade fut remise à une autre fois, bien sûr ce serait sans les Gardiner qui devraient reprendre la route pour Londres dès le lendemain malgré cela le reste de la promenade eut suffisamment de beautés à offrir.

La journée en extérieur avait exténué la plupart d’entre eux, à l’exception de Lizzie et de Darcy habitués au grand air. Après un peu de repos et un changement de tenue, ce fut le dîner durant lequel les Darcy échangèrent quelques souvenirs sur Lambton et la librairie de Mr Gordon avec Madeline Gardiner ainsi que sur les personnes connues des deux familles, et les connaissances que celle-ci avait revues avant d’arriver à Pemberley.

O&P

Après le repas, Darcy avait invité Mr Gardiner et Charles à faire une partie de billard, tandis que Lizzie répétait une pièce de Mozart avec Georgiana au pianoforte. Jane et sa tante s’étaient retirées afin de suivre les derniers préparatifs du départ des Gardiner, mais à vrai dire, si Madeline Gardiner avait demandé à Jane de l’aider c’était un prétexte pour parler à sa nièce d’Elizabeth. Elle l’invita donc discrètement dans le petit salon à côté de sa chambre.

– Jane, n’avez-vous rien remarqué de particulier entre Lizzie et Mr Darcy ? Est-ce que Lizzie vous a confié quelque chose ?

– Que voulez-vous dire ma tante ? répondit Jane qui ne voulait pas trahir les confidences de sa sœur.

– Je trouve que notre hôte a des regards intéressés envers votre sœur et que c’est réciproque, même si c’est plus subtil chez elle. N’avez-vous pas remarqué durant notre partie de volant ?

– C’est possible, je n’ai pas vraiment fait attention, répondit Jane en rougissant un peu.

– En êtes-vous bien sûre, Jane ? insista la tante.

– Tout ce que je peux vous dire, c’est que Lizzie ne portait guère Mr Darcy dans son cœur lorsqu’elle est revenue du Kent.

– C’est ce que j’avais cru comprendre, moi aussi, mais j’ai l’impression qu’elle a changé d’avis.

– En tout cas elle ne m’en a rien dit.

– Je n’aurai pas l’occasion de vérifier ma théorie, ainsi je vous demanderais de bien veiller sur elle, ma chère nièce.

– N’ayez aucune crainte, tante Madeline, j’y veillerai d’autre part, notre Lizzie est une jeune femme qui a la tête bien campée sur ses épaules.

– Oui, je vous l’accorde, mais Lizzie peut faire montre de tant d’entêtement parfois, qu’elle serait capable de passer à côté de l’homme de sa vie juste par opiniâtreté.

Jane savait que les pensées de Lizzie étaient dévouées à un autre, elle pensait donc que sa tante devait probablement se tromper au sujet des sentiments de Lizzie. Par contre Mrs Gardiner se rappela la ruse de Georgiana – car elle avait compris que celle-ci avait fait semblant de s’être blessée – ainsi que ses manœuvres afin que Lizzie voyageât dans la même calèche que Mr Darcy. Elle se doutait de ce qui se tramait dans la tête de la jeune fille, qui visiblement essayait de jouer les entremetteuses, alors peut-être pouvait-elle partir en laissant quelqu’un qui pourrait l’aider dans cette entreprise. Ce serait une bien belle situation pour Lizzie d’être la maîtresse d’un tel domaine mais, ce qui était encore plus important à ses yeux, grâce à un mariage d’amour partagé.

O&P

Le lendemain matin, Darcy agité par des rêves remplis de Lizzie, se leva aux aurores en même temps que ses domestiques, il n’était pas même six heures. Il devait absolument s’aérer. Assisté par Stanley, il enfila sa tenue de cavalier, une chevauchée avec Pégase lui ferait certainement le plus grand bien pour purger toute cette tension et ces émotions qui le tourmentaient.

– Monsieur s’est levé bien tôt aujourd’hui, remarqua Stanley qui voyait le trouble de son maître.

– En effet, dit laconiquement Darcy interdisant toute réponse, il n’était pas d’humeur à se répandre sur ses états d’âme.

Maître et valet n’avaient pas reparlé de la mauvaise période passée à Londres en mai dernier, mais en voyant l’état d’agitation dans lequel se trouvait « son garçon » Stanley avait deviné que la venue de Miss Bennet avait ravivé des sentiments qui, à l’évidence, ne s’étaient pas éteints. Le valet de chambre avait d’abord été surpris de la venue de la jeune femme avant d’apprendre qu’elle était en fait l’invitée de Miss Darcy. Il était inquiet car il ne souhaitait pas récupérer le jeune homme dans la même disposition qu’après son retour de Rosings. Il se promit de garder un œil bienveillant sur le grand brun qui s’éloignait.

Darcy, impatient, ne voulut pas attendre oisivement que son palefrenier prépare sa monture, alors il sella lui-même Pégase et commença une longue chevauchée à travers le domaine. Il essaya de concentrer sa vision sur le paysage afin d’effacer les images très vives d’Eliz… de Miss Bennet, aussi bien les réelles que celles de son rêve encore très présentes dans son esprit. Un rêve dans lequel ils étaient mari et femme… dans l’intimité, puis une image de la jeune femme portant son enfant, leur avenir, son avenir. Il avait l’impression qu’il allait devenir fou. L’amour pouvait-il mener à la folie ? Oui, certainement, car l’amour avait le pouvoir de tout. Jamais il n’aurait pensé qu’un jour il serait rendu aussi vulnérable par amour.

Avoir laissé Georgie inviter la jeune femme avait été une erreur.

Peut-être devrait-il inventer une affaire urgente à régler à Londres pour s’échapper ? Mais il avait horreur du mensonge et Georgie serait tellement déçue. Enfin, quel aspect de sa personnalité cela révélerait-il, et que dire de ses bonnes résolutions à devenir meilleur ? Il ne pouvait pas tout jeter aux oubliettes pour son propre confort et à la première difficulté.

Mais quelle difficulté ! C’était plutôt une épreuve.

– Je dois vaincre cela ! murmura-t-il déterminé après s’être éloigné des écuries.

Après avoir échauffé son fidèle destrier Darcy galopa. Et il galopa. Et il galopa encore. Peu à peu il se vida de cette énergie qui le tourmentait, de toute cette frustration qui le consumait.

Après une paire d’heures, monture et cavalier étaient épuisés. Ils arrivèrent un peu après huit heures près du lac dans lequel Darcy décida de piquer une tête pour se rafraîchir et se débarrasser de la poussière de la chevauchée. Puis il rentra en passant par la domesticité où il savait trouver un escalier de service qui le mènerait discrètement à ses appartements, il ne serait pas indiqué de tomber nez à nez avec l’un des invités, une invitée en particulier, dans l’état débraillé dans lequel il se trouvait. Il appela Stanley pour l’aider à se changer pour le déjeuner.

– Monsieur a-t-il apprécié sa chevauchée ?

– Oui, Stanley, je me sens mieux. Les invités sont-il levés ?

– Oui, monsieur, ils sont dans la salle à manger.

– Très bien, je vous remercie Stanley.

Et après un bon déjeuner, ce fut le départ des Gardiner et les adieux.

Chapitre 23

Dans le prochain chapitre Georgiana va confier son histoire à Lizzie.


Notes :

(1) Le jeu de volant (battledore and shuttlecock en anglais) était à cette époque un jeu de plein-air apprécié chez les jeunes filles de bonnes familles, qui consistait à faire des échanges à l’aide d’un volant (shuttlecock) et à l’aide d’une raquette (battledore) avec un partenaire de jeu, ou bien en équipe de deux. C’est l’un des ancêtres du badminton dont les règles ne furent qu’établies en 1873.

Sources : Wikipédia

(2) La matinée à l’époque s’étirait jusque 15h -16h environ.

(3) 10 miles = 16 km environ

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