Chapitre 3: les lois de l’attraction (partie 2)
La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.
O&P
Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.
La sonate de l’amour
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Ce n’est pas à cause de l’attraction terrestre que des gens tombent… amoureux!
– Albert Einstein –
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Chapitre 3 – Partie 2 : les lois de l’attraction
Mercredi, après quelques jours passés chez sa fille et son gendre, Sir William repartit pour le Hertfordshire. Il était heureux et fier de voir sa fille aînée bien installée et pourrait raconter toute la grandeur de Rosings à sa femme pour la rassurer, mais aussi à tout Meryton. Quant à Maria, elle resterait encore chez les Collins et voyagerait avec Lizzie pour revenir chez elle.
Le lendemain, peu avant l’heure du dîner, les habitants du presbytère étaient en train de finir de se préparer pour aller à Rosings. Lizzie ne voulait pas se l’avouer, mais elle avait pris soin de se montrer sous ses meilleurs atours. Pour cette occasion, elle avait choisi de porter sa plus belle robe de jour qui était en mousseline vert clair, celle-ci flattait ses yeux, la couleur de ses cheveux et mettait en valeur ses formes. Aidée de Nancy, la servante, elle avait attaché ses cheveux dans une coiffure légèrement différente de son habituelle avec quelques tresses en plus. Elle était contente du résultat et se surprit à se demander si le colonel allait apprécier son apparence. Elle avait complété sa tenue par un spencer vert et elle enfilait ses gants et son bonnet tout comme Charlotte et Maria tandis que Mr Collins s’agitait dans tous les sens.
– Mrs Collins, Maria, cousine Elizabeth, hâtez-vous ! Sa Grâce m’a répété je ne sais combien de fois l’importance de la ponctualité.
– Oui, oui mon cher, nous sommes prêtes, répondit son épouse tout en se dépêchant.
Elizabeth ne put s’empêcher d’émettre un petit rire en sortant de la demeure pastorale.
Ils arrivèrent juste à temps et furent introduits dans le même salon que la dernière fois, en attendant que sonne le moment du repas. Les civilités de rigueur furent échangées. Elizabeth avait l’impression de revoir la même scène que quelques jours plus tôt : Lady Catherine était toujours aussi hautaine, Mr Collins toujours aussi ridicule dans ses excès de politesse et de flatterie, Miss de Bourgh conservait son insignifiance, le colonel arborait l’un de ses plus beaux sourires, quant à son cousin… il affichait la même posture rigide et froide, à la seule différence qu’il porta soudain un regard intense sur elle-même. « Qu’ai-je donc encore à reprocher ? Ma robe est-elle souillée ? Mon bonnet m’a-t-il décoiffée lorsque je l’ai ôté ? » se demanda-t-elle aussitôt en touchant discrètement ses cheveux pour s’assurer de leur bonne tenue.
En réalité, Darcy se trouvait encore une fois attiré par cette petite sorcière aux yeux captivants et fut incapable d’éviter de l’admirer, comme il se l’était pourtant promis juste avant son entrée. C’était plus fort que lui. Une force invisible, insurmontable et incontrôlable dominait ses résolutions les plus fortes, telle la gravité qui faisait tourner la Terre autour du Soleil qu’elle était. Mais Sir Newton pourrait-il expliquer ce type d’attraction ? Les lois universelles de la physique étaient-elles en cause ici ? Il en doutait, cela ressortait davantage du surnaturel. Oui, elle devait être une sorcière ou bien une fée qui avait jeté un sort sur sa personne. Qui aurait pu penser qu’un jour, le très rationnel Fitzwilliam Darcy aurait eu ce genre de pensée ? Pas lui-même en tout cas.
Des banalités furent partagées sur le temps qu’il faisait et ce genre de sujets. Puis Stanley, le valet de chambre de Darcy, vint le voir juste avant que la cloche signalant que le dîner était servi retentît, invitant les convives à se rendre dans la salle à manger. Les deux hommes échangèrent quelques mots à voix basse et Lizzie vit Stanley donner discrètement quelque chose à Darcy qu’il mit immédiatement dans sa poche – elle ne distingua pas quoi, un message ? un mouchoir peut-être ? – alors que tout le monde se leva pour se diriger vers la table. Par ordre de préséance, Lady Catherine se fit accompagner par le colonel, insistant avec dessein que Darcy offrît son bras à sa fille Anne. Mr Collins suivit avec sa femme, laissant Elizabeth, Maria et Mrs Jenkinson clore le défilé. Elizabeth adressa un sourire à Stanley alors qu’elle le croisa tandis qu’il prenait la direction opposée. C’était un homme mince et petit, surtout comparé à son maître, il avait les cheveux grisonnant, des yeux gris acier à l’expression intelligente.
Le décor de la salle était tout aussi tapageur que le reste des pièces déjà visitées, avec du mobilier clinquant aux dorures en excès, des tableaux sur les murs à profusion et un plafond peint de façon outrancière. Une longue table était dressée pour les neuf convives : porcelaine fine aux décors abondants, couverts en vermeil (3), verres en cristal de Bohême soufflé et gravé. Au centre de la table trônaient des chandeliers prétentieux et des compositions florales imposantes.
Lady Catherine, en tant qu’hôtesse était en bout de table, avec Darcy à sa droite et sa fille Anne à sa gauche. Lizzie se trouvait entre Darcy et Charlotte, et avait le colonel juste en face d’elle. Ce dernier avait à sa gauche le pasteur qui avait Mrs Jenkinson comme autre voisine. Maria était assise à la droite de sa sœur ce qui la laissait en face de la dame de compagnie qui ne quittait jamais Anne de Bourgh.
Lizzie était ravie de se trouver en face du colonel, mais elle l’était beaucoup moins d’être assise juste à côté de son cousin si arrogant. Ce dernier était en train de se demander quel était le parfum si délicat et délectable que portait sa voisine de droite. « On dirait des fleurs blanches et aussi des roses, peut-être bien ? Non, il y avait autre chose de moins commun, mais quoi ? » Une composition digne des fragrances de chez Floris (4), pourtant il doutait qu’une femme de la petite gentry s’approvisionnât au 89, Jermyn Street dans l’élégant quartier St James : beaucoup trop cher. Il avait déjà senti ce bouquet à la fois subtil et complexe dans le salon du presbytère, mais ce fut maintenant alors qu’il se situait près de la jeune femme qu’il comprit que cet arôme si enivrant lui appartenait. Son essence n’avait rien à voir avec la classique rose ou la lavande que beaucoup de femmes avaient adoptées, et surtout, elle l’employait avec parcimonie. Combien de fois il s’était senti incommodé par l’abondance avec laquelle Caroline Bingley usait de son capiteux parfum luxueux. Il pouvait la sentir arriver, ce qui parfois était bien utile pour l’éviter. Il inspira profondément en dilatant ses narines, le plus discrètement possible en se frottant l’arête de son nez, pour s’imprégner de la senteur de Miss Elizabeth. C’était exquis. Une douce chaleur suivie de picotements se diffusèrent alors dans son bas ventre. Non, pas encore !
Darcy fut ramené à la réalité lorsqu’un domestique portant une perruque, en livret rouge et or toussota légèrement pour attirer son attention, montrant ainsi qu’il attendait pour lui servir le mets de son choix. Il y en avait un derrière chaque invité pour assurer les moindres demandes et besoins comme manœuvrer les sièges, servir les plats, le vin…
Il n’y avait pas à dire, pensa Elizabeth, ils étaient reçus en grande pompe, car ce serait un repas à trois services. En entrée, une sélection de soupes et de poissons était offerte. Les assiettes étaient à peine servies que Lady Catherine donna le ton de la conversation.
– Je crois que vous avez de la famille à Londres, n’est-ce pas Miss Bennet ?
– Oui, Votre Grâce, mon oncle, ma tante et mes cousins.
– Où résident-ils précisément ?
– Rue Gracechurch.
– Je ne connais pas cette rue, dans quel quartier est-ce ?
– Cheapside.
– Cheapside ! s’exclama Lady Catherine comme si on l’avait offensée, puis elle ajouta avec mépris, mais n’est-ce pas dans les bas quartiers ?
– Ce n’est pas Mayfair, effectivement, répondit Lizzie avec un léger sarcasme dans la voix, mais avec un grand sourire.
– Et que fait votre oncle ?
– Il importe des marchandises.
– Ah, il est dans le commerce, se crut-elle obligée d’insister, alors c’est le frère de votre mère, je présume.
– Oui, tout à fait Votre Grâce.
– Et avez-vous d’autres oncles et tantes ?
– Oui, une sœur de ma mère.
– Et que fait son époux ?
– Il est avoué (5) à Meryton.
– Une profession très honorable, dit le colonel qui en avait assez des attaques déguisées de sa tante et dont il connaissait bien les méthodes.
– Merci, colonel, dit Lizzie avec gratitude en lui souriant.
– Ainsi votre sœur aînée va se marier. D’où est originaire son futur époux ? est-il un gentleman ?
– Mr Bingley, répondit Lizzie tout en jetant un coup d’œil sur Mr Darcy pour étudier sa réaction, vient de louer le domaine de Netherfield qui …
À ces paroles, Darcy se mit à tousser et prit sa serviette pour masquer le plus possible sa mésaventure.
– Darcy, mon neveu que vous arrive-t-il ?
– Désolé… Lady Catherine… c’était une fausse route, veuillez m’excuser ! répondit-il, la voix encore enrouée qu’il éclaircit en buvant quelques gorgées de vin.
En fait Darcy s’était étouffé en entendant le nom Bingley associé à Netherfield. Il s’était alors souvenu brutalement où il avait déjà entendu, ou plutôt lu, le nom de Bennet : dans une lettre de son ami. « Jane Bennet est la fiancée de Charles ! Miss Elizabeth est donc sa sœur, incroyable ! je comprends maintenant ce qu’il avait écrit, je n’avais pas réussi à déchiffrer plusieurs passages avec ses gribouillis habituels, » pensa-t-il en essayant de se remémorer le passage incriminé de la lettre, c’était quelque chose comme ça : la sœur cadette de Jane – gribouillis – Kent, chez – gribouillis – près – gribouillis – tante. « Il devait vouloir m’informer de sa venue ici, mais je n’ai point fait la relation! Il faut dire aussi que j’avais d’autres préoccupations. »
À ce moment-là ce fut le colonel qui demanda, étonné :
– Bingley, comme Charles Bingley ?
– Oui, en effet, le connaissez-vous colonel Fitzwilliam ? demanda Lizzie trop heureuse de pouvoir vérifier avec certitude ce qu’elle avait découvert tantôt.
– Un peu, mais c’est surtout mon cousin qui le connaît très bien vu que c’est son meilleur ami, n’est-ce pas Darcy ?
– Oouui, c’est exact.
– Eh bien ça alors, le monde est petit, dit en riant l’officier.
– Et votre ami ne vous a pas parlé de ses fiançailles, Darcy ? s’enquit Lady Catherine surprise.
– Si bien sûr, il me l’a écrit dans sa dernière lettre, je n’avais simplement pas encore fait le rapprochement avec Miss Elizabeth Bennet.
– C’est le Mr Bingley dont le père a fait fortune dans le commerce ? poursuivit Sa Grâce.
– C’est bien lui.
– Nul doute que ce sera un mariage bien avantageux pour votre sœur et votre famille, Miss Bennet.
– Mais c’est un mariage d’amour ! s’indigna Lizzie en reposant un peu brutalement sa cuillère à soupe sur la table, elle avait parfaitement compris l’insinuation de la lady.
– Un mariage d’amour, quelle notion ridicule ! pouffa Lady Catherine avant de poursuivre en s’adressant à Darcy, Mr Bingley aurait dû choisir une épouse avec plus de relations pour s’élever dans la société.
– C’est bien ce que je lui ai toujours conseillé et il en avait convenu, mais c’était avant sa rencontre avec Miss Jane Bennet, répondit-il sur un ton détaché. « Lorsqu’il m’a écrit de son projet de mariage, je lui ai recommandé de s’assurer de faire un choix avisé après une mûre réflexion. Notamment de vérifier si elle n’en avait pas qu’après sa fortune. Que pouvais-je faire de plus sans avoir rencontré la jeune femme en personne ? » songea-t-il.
Lizzie pensa : « Mais que veut-il insinuer ? Que Jane a calculé ce mariage ? que c’est une chasseuse de fortune, elle aussi ? » Elle lui dit avec une certaine impétuosité tout en se tournant pour le regarder :
– Ma sœur Jane est la personne la plus gentille et la plus désintéressée que je connaisse et si vous l’aviez rencontrée vous le sauriez. Je puis vous assurer qu’elle aime sincèrement votre ami, Mr Darcy !
Les Collins, Maria, Anne de Bourgh et sa dame de compagnie avaient plongé leur nez dans leur assiette. Lady Catherine intervint avant que son neveu n’ait eu le temps de rétorquer, ou Mr Collins, qui avait levé la tête avec une expression outragée, de prendre la défense du gentleman :
– Vous exposez votre opinion avec trop d’impertinence et une bien grande assurance pour une si jeune personne ! Quel âge avez-vous donc ?
– Lizzie était prête à riposter à cela avec l’un de ses traits d’esprit, mais elle sentit Charlotte lui donner un coup de pied sous la table alors qu’elle lui lançait un coup d’œil inquiet. Elle choisit donc l’option la plus sage en répondant simplement à la question pour ne pas nuire à son amie.
– Je suis presque majeure.
La discussion s’interrompit pour laisser les domestiques débarrasser les assiettes et les entrées pour faire de la place au second service, là encore il y en avait pour tous les goûts avec un large choix de venaisons préparées avec le gibier chassé sur les terres mêmes de Rosings, accompagnées de légumes des jardins ou de la serre cuisinés de différentes façons : sautés, purées ou bouillis. Lady Catherine en profita pour indiquer à sa fille le type et la quantité d’aliments qu’elle devait ingurgiter avant de s’adresser à Lizzie.
– Quelles langues parlez-vous, Miss Bennet ?
– Le latin, le grec, un peu le français et l’italien.
– Le latin et le grec ?! s’étonna une fois de plus la grande dame, voilà qui est bien singulier, c’est votre institutrice qui vous les a enseignés ?
– Non, nous n’en avons pas, c’est mon père.
– Vous n’avez pas d’institutrice et votre père vous a enseigné des disciplines réservées aux garçons, comme c’est étrange ! Et quelles autres matières avez-vous étudiées ?
– La littérature, la philosophie, les sciences…
– Les sciences ! Décidément vous avez reçu une éducation pas du tout conventionnelle.
« Effectivement ! » pensa Darcy, mais en trouvant le fait intéressant.
– Mon père a plutôt un esprit ouvert à ce sujet.
– Et vos sœurs, ont-elles reçu la même instruction ?
– Non.
– Voilà qui est plus sensé. Et vous peignez ?
– Non, pas du tout. Et vous, Lady Catherine ? demanda Lizzie avec un soupçon d’impertinence, mais en restant dans les marques de la politesse assurée par un sourire. Elle en avait assez de cette inquisition.
Darcy pensa qu’elle avait du répondant et de l’audace. Il l’admirait de plus en plus, car non seulement elle connaissait des disciplines qu’il affectionnait, mais elle savait tenir tête à sa tante avec grâce et esprit. Il observa, non sans un certain plaisir, que Lady Catherine fut désarçonnée par sa question et mit un certain temps pour y répondre. Il est vrai qu’elle avait l’habitude de régner sur sa cour sans opposition, et visiblement, elle n’avait pas l’air d’apprécier. « Georgiana bénéficierait tellement d’avoir une sœur comme elle, une sœur qui pourrait la guider, lui montrer l’exemple, une sœur en qui elle pourrait se confier, une belle-sœur … mais que dis-je ! » se fustigea Darcy juste avant que Lady Catherine ne reprenne la parole avec un air supérieur.
– Non, mais j’ai un goût fort développé pour la peinture. Il suffit de regarder tous les tableaux qui sont dans cette pièce, dit-elle avec un geste large de la main, c’est moi qui les ai choisis, ne sont-ils pas magnifiques ?
– Absolument, Votre Grâce, répondit Mr Collins trop heureux de trouver enfin une occasion de flatter sa bienfaitrice, j’ai toujours admiré le goût extraordinaire qu’elle possède, ainsi que la qualité de…
– Anne aussi a un goût remarquable dans le domaine de l’art. Et c’est une qualité indispensable pour une future maîtresse d’une grande maison, n’est-ce pas Darcy ?
Lizzie se mordit la lèvre pour ne pas rire et croisa le regard complice de la part du colonel Fitzwilliam, ce qui ne passa pas inaperçu auprès de Darcy qui répondit à sa tante :
– Certes, c’est une qualité appréciable, avant d’ajouter mentalement :« mais certainement pas suffisante, en tout cas pas pour la future Maîtresse de Pemberley. Et il est hors de question de laisser décorer mes demeures de la sorte ! Et quel est ce regard entre Richard et Miss Elizabeth ? »
Lady Catherine eut l’air satisfaite de sa réponse et engagea Charlotte dans la conversation au sujet des différentes potions qu’elle devait aller chercher le lendemain chez l’apothicaire du village. Enfin ce fut au tour du colonel qui fut interrogé sur la durée de son congé avant de reprendre du service.
La fin du repas arriva avec fromages et tartes. Ensuite les hommes se retirèrent pour le traditionnel « brandy et cigares », bien que cela n’enchantait guère les deux cousins de se retrouver avec le fastidieux pasteur, d’un accord tacite, ils réduiraient cette épreuve à la durée minimale requise par nécessaire politesse. Ils se contentèrent donc de boire juste un seul verre de brandy, mais il leur fallait bien ça pour supporter la logorrhée de Mr Collins au sujet de la grandeur de Sa Grâce. Ils ne prirent pas de cigare, de toute façon Darcy ne fumait jamais.
Pendant ce temps-là les femmes s’étaient dirigées vers le salon ouvert sur la salle de musique. Comme de coutume, la dame de compagnie s’occupa d’Anne de Bourgh, l’aidant à réajuster son châle, répondant à chacun de ses besoins. Lady Catherine demanda ensuite à Mrs Jenkinson de jouer du pianoforte. Puis ce fut au tour d’Elizabeth à qui l’on demanda de chanter, accompagnée au pianoforte par Mrs Jenkinson. C’est à ce moment-là que les messieurs firent leur retour. Darcy fut surpris lorsqu’il entendit Miss Elizabeth.
Il était enchanté.
La voix de Miss Elizabeth était si claire, si pure, si belle. Elle rivalisait le rossignol que l’on pouvait entendre durant les nuits de mai. Il était évident que le talent de chanteuse de cette sirène-là dépassait celui de pianiste. Il se sentait en danger comme Ulysse attiré par les sirènes, mais Circé ne l’avait pas averti et personne ne l’avait attaché au mât d’un bateau pour l’empêcher de plonger dans l’océan de l’amour… « L’amour ? Non, impossible, ce n’est qu’un engouement et ça me passera! » son traître d’esprit l’avait encore emmené sur un chemin trop risqué à son goût.
Pour la première fois de sa vie, le Maître de Pemberley se sentit durablement troublé à cause d’une femme.
Ensuite Lady Catherine décida de jouer aux cartes, le Whist (6), pour finir l’après-midi, mais comme c’était un jeu où s’affrontaient deux couples de joueurs, deux tables furent donc organisées, l’une à côté de l’autre. Mrs de Bourgh avait imposé à Darcy et Anne de jouer ensemble contre elle-même et le colonel Fitzwilliam, mais celui-ci trouva une feinte pour rejoindre Miss Bennet qui en fut ravie. Leur équipe affronterait donc les Collins, laissant Mrs Jenkinson rejoindre Lady Catherine qui n’hésita pas à montrer son désappointement envers son neveu. Maria était en observatrice près de sa sœur qui se situait à la droite de Lizzie.
Lizzie n’aimait pas trop jouer aux cartes, mais la présence du colonel en face d’elle et en tant que partenaire augmenta considérablement son intérêt pour le jeu. Ce fut dans la bonne humeur que la partie se déroula à sa table grâce à l’officier qui avait beaucoup d’humour. Il sut notamment manœuvrer intelligemment Mr Collins qui était à sa droite pour canaliser en partie ses effusions. L’autre table dominée par Lady Catherine était beaucoup plus circonspecte, pas un seul rire n’en échappa. L’austère lady jetait régulièrement un regard désapprobateur envers l’équipe du colonel et Elizabeth, heureusement que le pasteur ne pouvait la voir depuis son point de vue, sinon il en aurait été décomposé.
L’après-midi se termina par la victoire des équipes de l’hôtesse des lieux et de celle du colonel. Lizzie avait bien aimé la partie, son partenaire était vraiment un homme adorable qu’elle appréciait de plus en plus. Les regards qu’il lui lançait étaient des plus chaleureux, elle pensait même des plus séduisants. Finalement le colonel Fitzwilliam était plus intéressant et attrayant que le lieutenant Wickham qui lui revint en mémoire, car même si ce dernier était plus beau, il avait une attitude charmante qui tombait dans l’affectation, si elle comparait les deux hommes. Elle sentait le colonel plus sincère, plus authentique dans ses attentions et elle se sentit flattée par un tel égard, mais son cœur n’était pas touché, du moins pas encore.
Elle avait surpris les regards de Mr Darcy envers eux, très intenses et sévères, il était juste à la droite du colonel à l’autre table et fronçait souvent les sourcils. Il n’avait pas l’air d’apprécier leurs rires tout comme sa tante, pensa-t-elle.
Quant à Darcy, il était envieux de son cousin, non seulement il était le partenaire de jeu de Miss Elizabeth, mais il savait aussi l’amuser ce qui la rendait encore plus captivante. Son rire cristallin était comme de la musique à ses oreilles. Darcy écoutait avec grand intérêt tout ce qu’elle disait, bien qu’il ne participât pas à leur discussion. Il apprit notamment qu’elle préférait le jeu d’échecs aux cartes, un point d’intérêt qu’il partageait. Il était parfois si engoncé dans sa contemplation qu’il en devenait distrait et se faisait sermonner par sa tante lorsqu’il commettait une erreur.
Lady Catherine laissa la charge à ses neveux de raccompagner ses invités jusqu’à son carrosse qui devait les ramener au presbytère. Le pasteur aida son épouse et sa belle-sœur à s’installer et décida de les suivre en voyant que l’officier allait s’occuper de sa cousine, puisqu’il baisait la main gantée de Lizzie.
– J’étais ravi de passer une si agréable journée et en si charmante compagnie, madame.
– Je vous remercie, colonel, le plaisir était partagé.
Il l’aida à prendre place à l’intérieur de la voiture en échangeant des adieux chaleureux. Darcy se contenta de se courber légèrement en signe de politesse.
Notes :
(3) Le vermeil est un métal précieux constitué d’argent recouvert d’or (jaune ou gris, de 18 ou 22 carats).
(4) Floris est le plus ancien détaillant anglais de parfums et d’articles de toilette et est encore géré aujourd’hui par des membres de la famille (8ème et 9ème génération) du créateur, Juan Famenias Floris, un jeune Minorquin venu faire fortune à Londres et qui fonda sa boutique de barbier en 1730.
Sources : www.florislondon.com
(5) Un avoué est un officier ministériel ayant le monopole de représenter les parties devant la juridiction (Tribunal de Grande Instance ou Cour d’Appel) près laquelle il est établi avec d’autres confrères en nombre limité.
Sources : CNRTL
(6) Whist : jeu de cartes joué par quatre joueurs qui jouent dans deux partenariats avec les partenaires assis l’un en face de l’autre.
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