Chapitre 24: si la musique est la pâture de l’amour, jouez encore !

 La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.

O&P

Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.

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Merci pour vos ondes positives et vos gentils mots de soutien et d’encouragement, AdAtc, Lyrod, cela m’aide à supporter de nouveaux longs traitements et cette nouvelle période difficile pour moi. Je vous remercie de tout cœur.

Karine: vous m’avez, vous aussi, apporté une belle bouffée d’oxygène avec votre touchant message 🙂 !

Gab: je ne peux que partager ton choix de chanson, Ed Sheeran est l’un de mes grands favoris. Le baiser viendra en son temps en écoutant cette fois « Kiss me like you wanna be loved … » 😉

Guest: je ne peux pas contacter et donc répondre aussitôt aux questions des personnes non enregistrées et non connectées, voici donc la réponse à votre question: aujourd’hui! 😀


La sonate de l’amour

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La musique donne une âme à nos cœurs et des ailes à la pensée.*

– Platon –

Chapitre 24 : si la musique est la pâture de l’amour, jouez encore ! (1)

Pour Darcy la journée de l’anniversaire de sa mère avait été éprouvante physiquement et émotionnellement pourtant, le soir venu, il était agité et sentait qu’il ne pourrait pas dormir immédiatement. Stanley vint pour l’aider à se préparer pour la nuit, mais il le congédia en disant qu’il se débrouillerait. Pour se calmer, il prit une chandelle et se rendit dans la salle de musique. Il se mit à l’aise en se débarrassant des vêtements superflus, la soirée était chaude. Enfin, il s’installa devant le pianoforte et des pensées mélancoliques, où se mêlaient Elizabeth et des souvenirs de sa mère, l’assaillirent. Il aurait tant aimé que sa mère l’eût connue, il était sûr que ces deux femmes se seraient appréciées, tout comme la belle complicité qui existait entre Georgiana et son amie.

Lorsqu’il s’était précédemment excusé pour aller s’occuper de ses affaires dans son bureau, et alors que les Bingley discutaient avec la brunette au sujet de Roses Manor, sa petite sœur en avait profité pour le rejoindre discrètement, elle était trop excitée de lui révéler qu’elle s’était confiée à Lizzie. Elle lui raconta également tout ce qu’Elizabeth lui avait dit. Georgie avait enfin pu se livrer en se fiant à une femme, qui aurait pu être sa sœur… mais qui serait bientôt sa cousine. Darcy était heureux pour elle, Miss Bennet lui avait redonné confiance tout en la faisant réfléchir sur ses actions passées mais sans la culpabiliser. Un tour de force intellectuel. Cette jeune femme était vraiment unique et méritait tout le bonheur possible. Sans lui. Mais il l’acceptait.

Il s’assouplit les doigts et plein de toutes ses pensées, il commença à jouer.

Sa mère aurait eu cinquante ans aujourd’hui.

Miss Bennet aurait pu être sa femme.

Richard aurait déjà dû être de retour…

Mais la vie en avait décidé autrement.

O&P

Yundi – Beethoven, Adagio Cantabile (from Sonata Pathétique No. 8, op. 13

Il y avait déjà plus d’une heure que Lizzie avait souhaité une bonne nuit à Georgiana qui s’était retirée dans sa chambre. Pourtant, Elizabeth n’arrivait pas à dormir. Elle décida donc, malgré l’heure tardive, d’aller chercher un livre dans la bibliothèque. Elle enfila sa robe de chambre, prit la chandelle qui se trouvait encore allumée sur sa table de nuit et se fraya un chemin vers sa destination tout en espérant ne rencontrer personne. C’était assez loin de sa chambre qui était située dans l’aile réservée aux invités, mais cela ne lui faisait pas peur. En s’approchant de la salle de musique, qui se trouvait être sur son chemin, elle entendit de faibles notes de musique. Au début, elle pensait avoir rêvé, mais au fur et à mesure qu’elle progressait, le son devenait de plus en plus audible il n’était donc pas issu de son imagination.

« Qui peut bien jouer du piano à cette heure ? Cela ne peut pas être Georgiana, alors qui ? Y aurait-il un fantôme qui hanterait les lieux ? » Pensa-t-elle en étouffant un rire de sa main. Elle se moquait de sa pensée ridicule, cependant avec une certaine crainte.

Maintenant qu’elle était plus proche, elle pouvait écouter la mélodie clairement. Elle était si belle, mais si triste, jouée avec une grande émotion. Qui, dans cette maison, pouvait jouer aussi bien, à part Georgiana ? Piquée de curiosité, elle s’arrêta devant la porte de la salle et l’ouvrit doucement sans faire de bruit.

Ce qu’elle vit la transfigura.

Là, assis devant le pianoforte, les yeux clos et de trois-quarts face à elle, se tenait… Mr Darcy !

Inconscient qu’il avait de la compagnie, il continuait à jouer. Lizzie était comme hypnotisée, à la fois par l’image de cet homme et par la musique qu’il créait de ses doigts agiles. Il était comme possédé par cette sonate de Beethoven qu’elle reconnut grâce à l’Adagio Cantabile (2) qu’il était en train d’exécuter à ce moment. Le thème musical était d’une beauté pure et calme, sans froideur, sans emphase inutile, d’une ampleur et d’une pénétration dont il était impossible de n’être point ému.

Elle ignorait que Mr. Darcy pratiquait le pianoforte, et si bien. Il était juste dans ses pantalons et dans sa chemise. Sa veste et son gilet étaient accrochés sur le dossier d’une chaise et sa cravate reposait négligemment sur le dessus du piano, dont le couvercle était fermé afin d’atténuer le son et d’éviter de déranger le sommeil des autres occupants de la maison. Ses manches étaient roulées jusqu’en dessous de ses coudes et son col était ouvert, laissant apparaître son cou et le haut de son torse orné de quelques touffes brunes. Elle se rappela l’avoir déjà admiré dans une tenue analogue, une fois, dans une cabane de chasseur, mais ce soir elle le trouva encore plus beau. Elle était fascinée par sa pomme d’Adam qui roulait alors qu’il ravalait difficilement sa salive, probablement sous le coup d’une vive émotion. Son visage avait laissé tomber son masque d’indifférence et révélait une telle tristesse qui était visible, bien que ses yeux fermés ne pussent exprimer le tourment qui, elle supposa, l’habitait alors. Il vivait sa musique avec tout son cœur, tout son corps et toute son âme elle devait lui rappeler des souvenirs poignants. Il connaissait le morceau par cœur et se balançait lentement au rythme des notes. La sonate résonnait comme un chant désespéré.

C’était sublime.

Lizzie vit alors qu’une larme brillante, révélée par la lumière de la chandelle posée juste devant lui, s’écoula sur sa joue et vint s’écraser sur l’une des touches. Elle était bouleversée. Elle sentit une boule se former dans sa gorge. Ses yeux lui piquaient. Des frissons parcoururent tout son corps tandis que son cœur se serra dans sa poitrine tout en s’accélérant. Chaque coup de marteau sur chacune des cordes de l’instrument faisaient vibrer chacun de ses nerfs, jouant en résonance avec ses propres émotions, dans une totale harmonie.

Et ce fut à ce moment-là qu’Elizabeth comprit que Mr Darcy était un homme capable de ressentir de profondes émotions pour être capable de jouer avec tant de sentiment et de sensibilité.

Et ce fut à ce moment-là qu’Elizabeth Bennet comprit que cet homme qu’elle avait cru autrefois si hautain, si froid et si arrogant, était en fait un être généreux, sensible et passionné qui s’était construit une carapace pour protéger son cœur. Un cœur qu’elle avait piétiné et brisé.

Oui, ce fut à ce moment-là que Miss Elizabeth Bennet comprit et admit enfin, grâce à une sonate, qu’elle était tombée profondément, irrésistiblement et irrévocablement amoureuse de Fitzwilliam Darcy, Maître de Pemberley.

Malheureusement, c’était trop tard… du moins, le pensait-elle…

Jamais encore, elle n’avait senti qu’elle aurait pu l’aimer comme en cet instant où l’aimer était désormais devenue chose vaine, car elle l’avait rejeté si abominablement et elle s’était engagée à réfléchir à une demande en mariage de la part du colonel Fitzwilliam, et ceci devant les yeux de Mr Darcy. Richard. Richard qui était porté disparu ! Richard qu’elle avait cru aimer… enfin peut-être.

Comment avait-elle pu se tromper à ce point ?

Maintenant elle comprenait que ce qu’elle avait pris pour de l’amour n’était en fait qu’une profonde amitié. Et son entêtement, son opiniâtreté à se croire un meilleur juge de caractère que les autres – notamment que Charlotte -, ainsi que tous ses préjugés envers Darcy l’avaient fourvoyée, aveuglée. Elle songea à sa première réaction quand elle avait aperçu le grand brun : c’était de l’attirance. Elle se rappela les sensations troublantes qu’elle avait éprouvées entre ses bras lors de la chevauchée dans la tempête, c’était une indéniable attraction, et elle le blâma de ce grief, de lui avoir provoqué cet émoi. Elle avait aussi apprécié leurs joutes verbales et la façon dont il la défiait. Elle avait refusé jusqu’à présent d’admettre la choquante vérité. Pourtant, peu à peu, elle avait réussi à mieux cerner la personnalité complexe du Maître de Pemberley : sa réserve qu’elle avait prise pour du dédain, sa timidité confondue avec de la froideur ou encore sa franchise avec de l’arrogance, sa loyauté envers les siens, sa nature généreuse envers son personnel et ses métayers. Il montrait de la fierté, peut-être bien, mais tout à fait naturelle. Et cet homme, finalement exceptionnel et incroyablement beau avait déclaré l’aimer et l’admirer, elle, une simple jeune femme de la petite gentry. Elle comprit finalement qu’il n’avait pas voulu l’insulter lors de sa demande catastrophique, c’était une bien maladroite façon de lui expliquer la profondeur de son amour qui avait su surmonter tous les obstacles. Elle ne l’avait pas cru alors qu’il lui avait dévoilé son manque d’aisance à parler avec les étrangers, quelle méprise !

La réalisation était cruelle et amère. Accablée, Elizabeth plissa les yeux et posa son front sur le chambranle de la porte.

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Sentant peut-être qu’il avait de la compagnie, Darcy ouvrit les yeux qui s’agrandirent de surprise en apercevant la jeune femme s’appuyer contre l’encadrement de bois. Il s’arrêta de jouer brusquement et se frotta rapidement les yeux comme quelqu’un qui venait de se réveiller, éliminant aussi les traces de ses larmes. Sur le coup il crut à une apparition sortie tout droit de son imagination, à moins que ce fût une nymphe venue s’égarer dans la maison, sa silhouette éthérée et gracieuse personnifiait les forces vives de la nature. Mais quand il réalisa que la dryade était bien réelle, et n’était autre que Miss Bennet, il se sentit gêné car exposé et vulnérable.

Elle n’était pas en train de le regarder, semblant plutôt perdue dans ses pensées. Elle était en robe de chambre de couleur claire, peut-être vert pâle, difficile à dire à cette distance et à cause du manque de lumière malgré la chandelle qu’elle tenait, mais il pouvait apercevoir ses cheveux dénoués qui cascadaient en boucles sur ses épaules et jusqu’à sa taille. Elle était à la fois si belle et mystérieuse. À ce moment, Elizabeth se redressa et lui fit face. D’après son langage corporel, elle avait l’air embarrassée, probablement d’avoir été surprise dans une tenue si peu formelle, supposa-t-il. C’était bien sûr la première fois qu’il la voyait ainsi, « et sera jamais la seule » soupira-t-il intérieurement.

– Excusez-moi, Mr Darcy, je ne voulais pas vous déranger, dit-elle effarouchée en faisant demi-tour pour s’en aller, gênée à la fois par sa tenue mais aussi d’avoir été découverte de l’avoir observé ainsi.

– Attendez, ne partez pas Miss Bennet ! dit-il impulsivement en se levant, il ne savait même pas pourquoi il la retenait. Ce n’était pas raisonnable, ni même convenable, mais il se sentait si triste et sentait le besoin d’être en sa compagnie, il fit un pas vers elle.

La jeune femme s’arrêta, hésita quelques instants, indécise de la bonne conduite à suivre dans les circonstances. Enfin, elle se retourna lentement et réduisit la distance qui les séparait pour lui faire face, puis déposa sa bougie sur le dessus du pianoforte, de toute façon, à cette heure-ci, personne ne les surprendrait, se dit-elle.

– Je ne savais pas que vous jouiez du pianoforte, Mr Darcy ? observa Lizzie avec un petit sourire et le sourcil arqué, elle choisit l’espièglerie pour cacher sa gêne encore présente.

– En effet, murmura-t-il, mais je ne joue jamais en public.

– Pourtant, vous en jouez très bien et surtout… avec beaucoup de sensibilité, son expression devint sérieuse.

– Mon père ne voulait pas que je pratique, répondit-il avec une certaine tristesse dans les yeux.

– Mais pourquoi donc? ne put-elle s’empêcher de demander spontanément, car après tout, ça ne la regardait pas.

– Il trouvait que ce n’était pas une activité suffisamment virile pour un homme.

– Pourtant Herr Bach a bien eu une vingtaine d’enfants et Herr Mozart était célèbre pour ses frasques amoureuses, affirma-t-elle avec malice.

– Oui, je vous l’accorde, un fugace sourire toucha ses lèvres, mais la musique était leur métier, alors que pour un gentleman farmer c’est plutôt singulier, vous admettrez… Mais dites-moi, Miss Bennet, une jeune femme est-elle censée connaître les frasques amoureuses de Mozart ? demanda-t-il avec humour.

– Vous oubliez que mon éducation… elle laissa la phrase en suspens et avec sous-entendu et se mordilla la lèvre avant de poursuivre, mais comment avez-vous appris à jouer si votre père ne l’approuvait point ? demanda-t-elle tout en supposant que ce fut avec Georgiana.

– Avec ma mère. J’étais souvent avec elle quand elle pratiquait. J’ai appris les bases d’abord en l’observant, les yeux de Darcy prirent un regard absent, revivant une scène de son enfance, un jour qu’elle était sortie un moment de la salle de musique, j’ai posé mes doigts sur le clavier et j’ai commencé à jouer une berceuse qu’elle chantait souvent pour moi. C’était sans doute loin d’être une brillante interprétation, mais maman affirma que j’étais plutôt doué, et que si je voulais elle pouvait m’apprendre à jouer et à lire la musique. Puis ensuite, quand elle… quand elle nous a quittés, dit-il péniblement, j’ai repris des leçons quelques années plus tard en même temps que ma sœur. Mon père a accepté à l’unique condition que je ne me produise jamais en public. Ce que j’ai respecté… jusqu’à aujourd’hui, termina-t-il avec un sourire triste.

– Alors veuillez m’excuser d’avoir empiété sur votre espace privé et de vous avoir obligé à rompre votre serment, mais je suis bien certaine que votre père ne vous en tiendrait point rigueur, après tout, ce n’était pas de votre fait.

– Il n’y a pas de mal, Miss Bennet, de toute façon il ne le saura jamais, dit-il morose. Il réfléchit un instant et hésita avant de lui proposer : voudriez-vous jouer un duo avec moi ? à cette heure tout le monde est couché et personne ne nous dérangera.

– Euh… oui, avec plaisir, répondit-elle étonnée, quel est votre compositeur préféré ?

– Beethoven, et vous ?

– Mozart, sa musique est généralement si gaie, une véritable ode à la vie.

– Je n’en suis pas surpris, car sa musique est tout comme vous, Miss Bennet : pétillante, ingénieuse, pleine de vie et parfois même d’impertinence, dit-il en la regardant avec profondeur, troublant Lizzie. Il savait qu’il était sur un terrain dangereux, mais elle était comme une bouffée d’air indispensable qui soulageait sa mélancolie.

– Mais vous, vous avez choisi l’un des morceaux les plus tristes en interprétant un adagio, Mr Darcy, elle le regarda droit dans les yeux, le cœur battant à cause des paroles qu’il venait de prononcer avec sentiment, mais aussi de son regard captivant.

– Ce morceau me rappelle ma mère, c’est avec elle que je l’ai appris alors qu’elle attendait Georgiana. Beethoven venait tout juste de l’écrire et de le publier. Elle le jouait souvent à ce moment-là comme si elle présentait ce qui allait lui arriver peu après la naissance de ma sœur… et aujourd’hui… enfin vous savez, confia-t-il ému.

– Elle vous manque, murmura Lizzie pleine de compassion, comprenant l’origine de sa tristesse. Ce qu’elle ne savait pas était que ce n’était point l’unique raison.

– Énormément… il fit une pause avant de changer de sujet car celui-ci était trop sensible, vous connaissez ce morceau ? il me semble vous l’avoir entendu répéter avec Georgiana, demanda-t-il en lui montrant la partition d’une pièce de Mozart.

– Oui, en effet.

Il lui fit signe de s’asseoir sur la gauche du banc, ayant remarqué que c’était cette partie qu’elle avait jouée avec Georgie. Lizzie prit place et lorsque Darcy vint s’installer près d’elle, elle sentit son cœur battre encore plus fort. Elle était encore toute chamboulée de la précédente découverte de ses sentiments envers Darcy. Elle se disait finalement que cela n’était peut-être pas une si bonne idée, mais il était trop tard pour se rétracter.

Il s’agissait d’une sonate pour piano à quatre mains (3). Elizabeth savait très bien que même si les sonates de Mozart semblaient d’une grande facilité technique, ce n’était en réalité presque jamais le cas. Elles étaient d’une clarté telle et d’une harmonie si parfaite, que toute fausse note choquait immédiatement l’oreille. Heureusement qu’elle l’avait d’abord apprise avec Mary, puis répétée avec Georgiana.

Ils commencèrent par l’Allegro, c’était une partie plutôt rapide sur laquelle il fallait se concentrer pour ne pas perdre la cadence. Cela n’empêcha pas le jeune homme de reconnaître le parfum subtil de sa compagne qu’il appréciait tant, il inspira profondément et lentement afin de s’en enivrer.

Durant leur performance, l’avant-bras gauche de Darcy frôla le droit de Lizzie à plusieurs reprises, ainsi que leurs doigts, envoyant des frissons chez chacun d’eux. Après quelques minutes, vers la fin de ce premier mouvement, ce fut au tour des genoux de se toucher très légèrement. Elizabeth en perdit un peu le rythme de la mélodie. Elle était toute troublée d’être si proche de lui, de sentir la chaleur de son corps émaner et l’effleurer, ainsi qu’inhaler son odeur : bois de santal et musc.

Ce moment était si intime.

Mais une fausse note retentit brisant le charme.

– Oh ! Excusez-moi, je n’ai pas le talent de votre sœur, dit Lizzie tout en finissant cette partie.

Ils profitèrent de la pause entre les deux mouvements pour se regarder et ils se mirent d’abord à rire gentiment de sa maladresse.

– Ne vous excusez pas, j’aime votre façon de jouer avec émotion, dit-il plus sérieusement.

Le regard de Darcy devint plus profond, Lizzie avait l’impression qu’il pouvait lire dans son âme. Et il était si près… si troublant, alors en rougissant, elle détourna les yeux pour les reporter sur la partition et tourner la page. Elle inspira profondément pour se calmer et posa ses doigts sur le clavier.

– On recommence ? dit-elle après s’être raclée doucement la gorge.

Heureusement, ils allaient aborder l’Andante qui était le passage le plus lent exigeant moins de concentration, mais c’était également plus émouvant, créant un moment encore plus intimiste augmentant encore la tension affective entre eux. La musique donnait une âme à leurs cœurs et des ailes à la pensée* nourrissant leurs sentiments réciproques mais dissimulés et refoulés.

Dans le troisième et dernier mouvement, l’Allegretto Molto, le rythme rapide les conduisit à se toucher de nouveau et cette fois, ce fut par les épaules. Une ivresse fébrile s’empara d’eux. La tension montait crescendo dans un tourbillon de notes exaltant leurs sensations, provoquant le frisson. Leur proximité les emmenait presque jusqu’à l’étourdissement dans lequel ils s’abandonnèrent, désireux de tout oublier : les convenances, leur situation, leur devoir…

Leur exultation était palpable quand la dernière note retentit, leur souffle haletant.

Ils reposèrent alors brusquement leurs mains en même temps sur le banc, mettant la tranche de la main gauche de Darcy en contact involontaire, mais direct, avec la droite de Lizzie.

Ils étaient peau contre peau.

Ils se figèrent, mais chacun d’eux refusa de rompre immédiatement ce contact impromptu qui les électrisait.

Ils n’osaient pas se regarder, ni parler.

Darcy bougea son petit doigt en une caresse sur celui de Lizzie qui apprécia la chaleur de sa peau, elle sentit des frissons de plaisir lui parcourir la main, puis tout le bras, dont les poils se hérissaient, et jusque dans son dos, en même temps qu’une douce chaleur inondait son ventre semant sur son passage des papillons. Elle se mit alors à répondre à son mouvement en miroir.

Ils avaient fermé les yeux afin de profiter de ce moment, de cette touche si intime, tellement grisante. Enfermés dans leur bulle, chacun sentait son cœur cogner fortement et rapidement dans sa poitrine. On pouvait entendre leur respiration s’accélérer. Être touché(e) ainsi par la personne que l’on aimait et désirait avait quelque chose d’irrésistible, de galvanisant, de bouleversant. Ils ne voulaient penser à rien d’autre que ce contact, qu’à cet instant volé à ce qu’ils pensaient être leur destin.

Darcy pouvait percevoir le satiné de la peau de Lizzie sous la pulpe de son petit doigt, et il fut surpris lorsque Lizzie répondit à sa caresse. De ressentir l’excitation de la jeune femme monter sous son attention, amplifia ses propres sensations : frissons, vague de chaleur dans son abdomen qui se propageait très rapidement.

La tension avait atteint son comble quand soudain…

– Excusez-moi !

– Je suis désolée !

Les deux s’exclamèrent en même temps tout en se levant pour s’écarter l’un de l’autre comme s’ils venaient de se brûler, contrits. Darcy recula de quelques pas, prenant refuge derrière le flanc du pianoforte, dressant ainsi une barrière physique rassurante entre lui et celle dont il se languissait tant.

– Miss Eli… Bennet, veuillez me pardonner, ma conduite est inexcusable ! s’exclama-t-il déconfit tout en se passant la main sur le visage, comme pour cacher sa honte et se réveiller de cette transe.

– Non, …. je veux dire… oui, je vous excuse, il n’y a rien eu de mal, dit-elle en détournant les yeux un instant.

Mais qui essayait-elle de convaincre ? car ce contact prolongé de leur main était tout sauf innocent, du moins au début cela avait été accidentel, mais ensuite ils avaient laissé leur main se déconnecter de leur cerveau, comme agissant de sa propre volonté à rester dans cet attouchement. Son attention se reporta de nouveau sur lui lorsqu’il reprit la parole la voix tremblante.

– Vous êtes bien trop généreuse, ma conduite était indigne de celle d’un gent…

Il s’interrompit et se crispa en se rappelant les mots de la jeune brune lorsqu’elle avait rejeté sa demande en mariage. Lizzie vit son regard s’assombrir de douleur et comprit pourquoi ; elle ne put supporter qu’il pansât cela de lui-même, à cause de ses propres malencontreuses paroles prononcées alors. Elle fit un petit pas vers lui et tendit légèrement la main vers le jeune homme comme pour supplier son pardon.

– Vous êtes un parfait gentleman, Mr Darcy, chuchota-t-elle, et je regrette simplement… elle ne trouvait plus ses mots, ce fut ma plus grossière erreur de ne pas l’avoir compris… plus tôt.

Darcy plongea son regard dans celui de la jeune femme. Que voulait-elle signifier par là ? Que regrettait-elle exactement ? De l’avoir insulté ou de n’avoir pas compris cela avant sa demande ? Pouvait-elle regretter de l’avoir rejeté ? Il sonda ses yeux si expressifs et y trouva des remords, du regret, de la peine, mais aussi autre chose, elle était troublée, confuse, mais par quoi exactement ? Ce n’était plus la colère, ni le mépris qu’il y avait vus ce soir-là dans le Kent. Se pourrait-il qu’elle… Non ! il n’avait pas le droit de penser ainsi, Elizabeth… Miss Bennet était promise à un autre.

À Richard, son cher cousin presque son frère dont il n’avait aucune nouvelle.

Ils restèrent là, figés en silence pendant quelques longues secondes qui leur parurent interminables, cristallisés dans leur honte, leur faiblesse et leur turpitude ; le sang pulsait dans leurs veines jusqu’à leurs tempes et bourdonnait dans leurs oreilles.

Elizabeth fit alors une petite révérence en lui souhaitant nerveusement une bonne nuit. Il lui rendit la politesse machinalement en la saluant, tandis qu’elle reprenait son bougeoir, avant de faire demi-tour et s’enfuir, laissant un Darcy complètement affligé en comprenant qu’il n’avait pas le droit d’agir ainsi, pensant qu’il avait trahi en intention, sinon en acte irréparable, le colonel Fitzwilliam.

Chapitre 25

Avez-vous reconnu la deuxième scène ? -)

La nuit va-t-elle leur porter conseil ?


Notes :

(1) William Shakespeare, la citation complète se trouve dans la pièce La nuit des Rois: « Si la musique est la pâture de l’amour, Jouez encore, donnez-m’en jusqu’à l’excès, Afin que, rassasiée, ma faim languisse et meure. « If music be the food of love, play on, Give me excess of it; that surfeiting, The appetite may sicken, and so die. » Twelfth Night

(2) Pour rappel : sonate dite pathétique de Beethoven écrite fin 1799.

(3) Le morceau auquel je pense ici est la Sonate pour piano à quatre mains en ré majeur (D major en anglais), KV K.381/123a, c’est une œuvre de Mozart composée probablement au début 1772 à Salzbourg.

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