Chapitre 3: les lois de l’attraction (partie 1)
La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.
O&P
Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.
La sonate de l’amour
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L’attraction est à la matière inanimée ce que l’amour est à la matière vivante.
– Georg Christoph Lichtenberg –
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Chapitre 3 – Partie 1 : les lois de l’attraction
Le lendemain de la rencontre dans le parc, les deux hommes furent annoncés au presbytère après le déjeuner. Elizabeth était en train de lire, Charlotte et Maria brodaient des mouchoirs, tandis que Sir William lisait le journal. Quant à Mr Collins, ayant vu les deux gentlemen arriver par la fenêtre de son bureau, il était dans tous ses états.
Les visiteurs furent introduits par la domestique dans le salon où tous les attendaient. Après les salutations de rigueur, chacun se dirigea vers un siège. Le colonel prit place à côté d’Elizabeth et il s’assura tout de suite avec sollicitude de l’état de santé de la jeune femme.
– J’espère que vous allez mieux aujourd’hui, Miss Bennet, et que votre mal de tête n’est plus qu’un mauvais souvenir.
– Oui, je vous remercie, colonel Fitzwilliam, je vais tout à fait bien.
– Me voilà rassuré, dit-il avec un sourire chaleureux avant de reprendre s’adressant à tous qui, entre-temps, s’étaient installés, je vous apporte une invitation à dîner de Lady Catherine pour jeudi prochain.
Il fouilla dans sa poche, en sortit un pli sous scellé et se leva pour aller le remettre à Mr Collins avant de retourner à sa place. Le pasteur se gonfla d’importance tout en déversant de longs et fastidieux remerciements et éloges de Sa Grâce et de toute sa famille.
Darcy avait choisi un siège face à Elizabeth, et Mr Collins, qui s’était empressé de s’asseoir près de lui, ne tarda pas à lui adresser une longue diatribe pleine d’afféterie sur le fait qu’ils étaient tous honorés de leur visite et comblés de la bienveillance de sa protectrice Lady Catherine de Bourgh. Darcy ne l’écoutait pas, il observait Miss Bennet qui parlait avec son cousin, c’était leur interaction qui l’intéressait et non point celui de l’irritant pasteur. Maria se tenait bien sagement près de la cheminée avec son père et Charlotte, qui essayait désespérément de détourner l’attention de son époux pour soulager Darcy.
Pendant que le colonel discutait avec la jeune femme, Darcy prit tout le loisir de détailler sa physionomie, bien que discrètement. Elle avait de beaux cheveux châtains qui formaient de belles boucles soyeuses encadrant l’ovale de son visage. Elles sautillaient à chacun des mouvements de sa tête comme de petits lutins espiègles. Ses traits délicats n’avaient pas une symétrie parfaite, mais lui conféraient une singularité et ses expressions étaient charmantes. Sa belle bouche pleine, joliment arquée et rose foncé, bougeait sensuellement quand elle parlait. Et ses yeux… ses yeux étaient vraiment magnifiques et si expressifs. Sa robe couleur primevère (1) était simple, mais de bonne facture, la taille était haute à la mode d’aujourd’hui, mettant en valeur sa poitrine généreuse. Il jalousait le petit grain de beauté qui siégeait juste au-dessus de son sein gauche, lui enviant sa position privilégiée. Le jeune homme ressentit une chaleur et un petit picotement caractéristiques du désir, et un feu lui monta aux joues. Gêné, il se fustigea intérieurement et prit plusieurs profondes respirations afin de retrouver la maîtrise de ses sens tout en réajustant discrètement sa position sur son siège. Dans le même temps il détourna le regard, mais l’attirance fut plus forte et il revint poser les yeux sur une croix en grenats qui reposait sur sa peau parfaite et nacrée.
Comment avait-il osé dire qu’il la trouvait tout juste passable ?
Non seulement c’était déplacé, mais complètement faux. Visiblement il ne l’avait pas bien regardée avant, et surtout, Richard l’avait agacé en insistant trop sur son attitude déplorable, il n’avait pas aimé être rabroué.
Il détourna à nouveau le regard de cette si jolie vue trop tentante pour reprendre le contrôle de lui-même, mais comme le fer va à l’aimant, il retourna observer ces yeux ensorcelants.
Il se dit que cet attrait lui passerait aussi vite que d’habitude. Ce n’était pas la première fois qu’une belle figure lui plaisait, mais jusqu’à présent la déception avait toujours suivi dès que les discussions s’engageaient. Son admiration n’avait jamais survécu aux bavardages insipides sur les potins, les dentelles et autres sujets du genre. D’ailleurs il n’avait pas trop suivi le début de la conversation entre la jeune femme et le colonel, en partie à cause du bourdonnement parasite de la voix du pasteur, mais il décida de sortir de sa contemplation pour se concentrer sur ce qu’ils se disaient.
– Êtes-vous passée par Londres en venant ici ?
– Oui, j’y suis restée quelques jours pour rendre visite à mon oncle, ma tante et mes cousins.
– Vous avez l’occasion de les visiter régulièrement ?
– Tout à fait, car je les apprécie beaucoup et ils ont pris l’habitude de nous inviter à tour de rôle, ma sœur aînée et moi.
– Et que préférez-vous dans la capitale ?
– Oh, voyons… l’opéra, le théâtre, le British Museum, les expositions, j’adore les librairies qui offrent une diversité de livres plus grande que celles que je peux trouver près de chez moi… Il y a tant de choses intéressantes à voir.
« Tiens, voilà qui est très singulier. Elle n’a pas mentionné les boutiques de mode ou les couturières comme le font toutes les femmes. » se dit Darcy.
– Oui, la capitale est riche de toutes sortes de distractions, répondit le colonel.
– J’ai entendu des rumeurs, juste avant de partir de Londres, disant que Napoléon s’était enfui de l’île d’Elbe. Pensez-vous colonel, si cela est avéré, qu’il serait capable de reprendre le pouvoir en France et que la paix en serait alors à nouveau menacée ? C’est inquiétant.
– Vous êtes bien renseignée et vous avez raison concernant la paix, car Boney (2) risque effectivement de vouloir reprendre le pouvoir et qui sait, nous refaire la guerre. Mais ne vous inquiétez pas, Miss Bennet, les soldats de Sa Majesté et moi-même, nous ne le laisserons pas débarquer sur le sol anglais.
Darcy était ébahi d’un tel choix de sujet de conversation par une jeune femme. Miss Bennet le surprenait une fois de plus. Intrigué, il ne put s’empêcher de se lever, abandonnant Mr Collins à son monologue qu’il n’avait toujours pas terminé, pour s’approcher d’eux et demander à la jeune femme :
– Quel est le dernier spectacle auquel vous avez assisté, Miss Bennet ?
– C’était « Beaucoup de bruit pour rien » , répondit-elle le plus aimablement possible.
– Préférez-vous donc les comédies aux tragédies de Shakespeare ?
– Oui, car j’aime mieux les fins heureuses. De plus, dans ses comédies Shakespeare parvient toujours à nous faire rire même lorsque les personnages y éprouvent le malheur, or j’adore rire. Et vous, Mr Darcy, que préférez-vous, les tragédies ou les comédies ? demanda-t-elle comme un défi.
– Les tragédies.
Elizabeth pensa que cela seyait bien au taciturne gentleman. Elle s’était tout de même attendu à ce qu’il développât sa réponse comme elle l’avait fait, mais il dédaigna le faire et s’éloigna vers la fenêtre, les mains jointes derrière le dos. Elle ne put s’empêcher d’en faire la remarque au colonel.
– Votre cousin est peu loquace.
– Oui, en effet. Pourtant, il peut être un aimable causeur et même un redoutable débatteur lorsqu’il le souhaite.
– Lizzie en conclut donc que Mr Darcy ne souhaitait pas condescendre à lui parler davantage, une autre preuve pour elle de son mépris.
Et pourtant à ce même instant, Darcy profitait du reflet que lui renvoyait un miroir accroché sur le mur à la droite de la fenêtre pour pouvoir l’observer en toute discrétion. S’il s’était éloigné, c’était pour ne pas se brûler, car en présence de Miss Elizabeth, comme il l’appelait déjà pour lui-même, il se sentait telle une phalène attirée par la flamme. Cette femme l’intriguait de plus en plus. Son esprit, sa joie de vivre, son intelligence, sa beauté atypique et sa personnalité tout entière si singulière l’attiraient. Il réalisait qu’elle n’était pas qu’une belle coquille vide et que ce qui la remplissait était encore plus envoûtant que son contenant. Que cachait-elle d’autre encore d’intéressant ?
Puis ce fut la fin du temps communément admis pour une visite de courtoisie et les deux gentlemen firent leurs adieux. Mr Collins sortit pour visiter son jardin, Sir William reprit la lecture de son journal et Maria retourna à sa broderie. Charlotte entraîna Elizabeth dans son petit salon, sous prétexte de lui demander son avis sur le menu de la semaine. En fait celle-ci était pressée de partager ses observations.
– Eliza, je crois que l’on vous doit cette visite, surtout aussi rapidement, taquina Charlotte.
– Vous exagérez, Charlotte, répondit-elle légèrement embarrassée.
– Le colonel n’a pas attendu pour venir s’asseoir auprès de vous et discuter, il a l’air de bien apprécier votre compagnie.
– Il est si charmant et agréable, au contraire de son cousin, Lizzie souhaitait détourner la discussion vers quelqu’un d’autre qui, lui, ne l’affectionnait pas du tout pour clore le sujet qui la mettait un peu mal à l’aise, car l’officier ne la laissait pas indifférente.
– Pourtant, avez-vous remarqué comment Mr Darcy vous observait ?
– Ah, il devait encore me chercher des défauts, répondit Lizzie en levant les yeux au ciel.
– Je ne pense pas ma chère, car ses regards étaient particulièrement intenses. Je pense plutôt qu’il vous admirait, déclara Charlotte avec un sourire malicieux.
– Je suis bien sûre du contraire, après ce que je l’ai entendu dire hier ! s’exclama Elizabeth en déniant d’un mouvement de la tête et en soupirant.
– Comment cela ? Que voulez-vous dire ? demanda Charlotte étonnée en haussant les sourcils.
– Je dois vous avouer que j’ai surpris une conversation entre Mr Darcy et le colonel Fitzwilliam durant ma promenade hier matin…
Et Lizzie lui confia tous les détails des évènements de la veille. Jane n’étant pas là, elle fut soulagée de pouvoir partager son fardeau avec son amie.
– J’ai du mal à croire qu’un homme aussi bien élevé que Mr Darcy puisse proférer des paroles aussi peu charitables envers une femme. C’était vraiment très mal de sa part, même si vous n’étiez pas censée les entendre.
– Vous comprenez donc pourquoi je pense que ses regards sont de mépris et non d’admiration ?
– C’est étrange car j’aurais vraiment cru… elle fit une pause avant d’ajouter, mais à choisir entre les deux cousins, Mr Darcy est celui qui a le plus de conséquence à votre place j’y réfléchirais bien avant de l’ignorer.
– De toute façon, je ne voudrais pas être au moins la troisième sur sa liste !
– Que voulez-vous dire ?
– Que d’après Caroline Bingley, il devrait la demander en mariage avant la fin de la saison, alors que Mr Collins a dit qu’il serait promis à Miss de Bourgh.
– Pour la première, à votre place ma chère, je me méfierais de ses allégations. Je sais que ce n’est pas très charitable de dire cela, mais Miss Bingley est une intrigante, preuve en est de ses tentatives de faire échouer le mariage entre son frère et Jane. Quant à la deuxième, je doute fort que Mr Darcy épouse une femme qui serait incapable de lui donner un héritier. Je sais que Lady Catherine souhaite vivement cette union et que mon époux pense que tout ce qu’elle affirme est parole d’évangile, mais franchement j’en doute. D’ailleurs, il est évident en les observant que ces deux-là n’ont aucune inclination l’un envers l’autre. Donc à mon humble avis, Mr Darcy est libre de tout engagement.
– Ah, ne nous gâchons plus la journée à cause de ce vilain, Charlotte, et parlons d’autre chose, répondit Lizzie agacée et encore trop blessée par les mots cruels du jeune homme.
– Oui, vous avez raison, répondit-elle sentant que cela peinait son amie.
Les deux jeunes femmes parlèrent donc de leurs projets pour les jours à venir.
Notes :
(1) Couleur primevère = jaune pâle (primerose yellow en anglais)
(2) Boney : sobriquet donné par les caricaturistes britanniques, à partir du mot anglais « bone » (os), et qui peut ainsi être traduit par « l’osseux ». Ce surnom visait la maigre silhouette du général Bonaparte dans les premières années de sa carrière militaire jusqu’au Consulat. Ce surnom jouait sur le contraste avec le ventru John Bull, symbole de l’Anglais et de son opulence face à une France perçue comme ruinée et affamée durant la Révolution.
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