Chapitre 6 : échec et mat (partie 2)

La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.

O&P

Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.


La sonate de l’amour

.

On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation.

– Platon –

Chapitre 6 – 2ème partie: échec et mat

Darcy prenait le déjeuner en la seule compagnie de sa tante – Anne se sentait souffrante et était restée dans sa chambre – quand Richard rentra de sa chevauchée. Lui au moins avait pu se dégourdir les jambes après ces jours de confinement forcé, alors que Darcy avait dû rester encore ce matin avec Mr Blake afin de vérifier, entre autres, la programmation des plantations printanières qui allaient commencer. Après avoir troqué rapidement sa tenue de cavalier contre une plus adéquate pour le repas, il avait rejoint son cousin et sa tante et après les avoir salués, il commença jovialement la discussion. Visiblement cette sortie l’avait mis d’excellente humeur.

– J’ai un appétit d’ogre, ce matin, dit-il en se servant des œufs, du bacon et des scones, pour commencer, avec une tasse de café, puis il vint s’asseoir à côté de Darcy.

– Comment était votre chevauchée ? demanda Darcy.

– Excellente, je me sens revigoré. Il mit dans sa bouche un morceau de scone qu’il mâcha et avala avant de reprendre. J’ai rencontré sur le chemin une nymphe aux yeux de biche, puis il ajouta tout bas, essuyant ses lèvres avec sa serviette pour étouffer sa voix afin que seul Darcy ne l’entendît, même si une certaine personne la trouve juste passable, avant de saisir sa tasse et de continuer sur un ton normal et avec une étincelle dans les yeux : ce fut fort agréable. Il but une gorgée du breuvage en regardant son cousin du coin de ses yeux.

– De quoi parlez-vous Fitzwilliam ? Qui avez-vous rencontré ? demanda Lady Catherine avec un air inquisiteur.

– Je taquinais Darcy, ma tante, tout le monde sait que les nymphes des bois n’existent pas, répondit-il en tirant la langue de façon enfantine en direction de son cousin pour le narguer.

Mais Darcy avait compris l’allusion et savait parfaitement bien qu’il parlait de Miss Elizabeth. Pourquoi avait-il ressenti une brusque montée de jalousie envers son cousin ? Probablement d’avoir pu sortir après plusieurs jours confiné dans cet étouffoir ? Oui, ce devait être cela, se rassura-t-il. Et pourtant… que se sont-ils dit ? Comment était-elle ?

– N’avez-vous donc pas passé l’âge des pitreries ? demanda Lady Catherine qui désapprouvait son attitude.

– Je crains que Richard ne grandisse jamais, dit Darcy exaspéré.

– Si c’est pour devenir aussi cérémonieux et renfrogné que vous, cousin, je ne préfère pas.

– Veuillez cesser ces enfantillages, mes neveux, ou vous allez troubler ma digestion, dit la maîtresse des lieux sur un ton autoritaire.

Les deux cousins se regardèrent, résignés à terminer leur repas en silence, autant ne pas contrarier le vieux dragon d’aussi bon matin.

Darcy ne pouvait s’empêcher de penser à une certaine nymphe des bois aux yeux de biche, Richard ne pouvait pas avoir trouvé mieux comme description. Il se demandait où celui-ci l’avait-il rencontrée exactement ? car les chemins devaient être extrêmement boueux, et toute téméraire qu’elle fût, il voyait mal la jeune femme patauger dans la gadoue sans nécessité, quoique…

Son cousin avait-t-il commencé à courtiser Miss Elizabeth, comme il l’avait insinué ? Non, il ne pouvait épouser qu’une riche héritière, cette pensée le tranquillisa un peu. Et pourtant, quelle importance ? Il devrait quand même éclaircir cela plus tard et certainement pas devant Lady Catherine.

En attendant, Darcy reporta son attention sur sa future rencontre avec Miss Elizabeth, il avait l’intention de lui proposer de l’affronter aux échecs. C’était un jeu bien plus intéressant que les cartes et il pourrait se la garder pour lui tout seul, tout en évitant sa tante… et son cousin.

O&P

Et c’est ainsi qu’après un nouveau repas fastidieux, à l’image du précédent, Darcy s’empressa de faire sa proposition à Elizabeth, coupant ainsi l’herbe sous le pied à sa tante qui n’avait pas encore eu le temps d’imposer ses caprices.

– Miss Bennet, j’ai cru comprendre que vous jouiez aux échecs ?

– Tout à fait, Mr Darcy.

– Accepteriez-vous donc de partager une partie avec moi ?

– Seriez-vous assez fou, monsieur, pour jouer avec une dame qui a un comportement si cavalier en osant jouer aux échecs ? demanda-t-elle avec un air de défi amusé.

– J’anticipe volontiers d’affronter la dame qu’elle soit blanche ou noire, même si je crains de n’être qu’un pion dans son jeu, répondit-il avec un petit sourire.

– Dans ce cas, je serai ravie de défier le roi noir ou blanc et découvrir quel tour il a en réserve dans son sac.

Comme il avait aimé son trait d’esprit en utilisant le nom des pièces du jeu de façon si amusante et astucieuse. Ses yeux pétillaient de malice, elle était si belle.

– Darcy, vous ne jouerez pas aux cartes avec Anne et moi aujourd’hui ? demanda Lady Catherine sèchement.

– Je suis désolé, ma tante, mais je me suis déjà engagé dans un jeu d’échecs avec Miss Bennet.

– Ah ! je ne comprends pas que l’on puisse aimer ce jeu, c’est bien un passe-temps pour les hommes ! dit-elle contrariée.

– Vous avez parfaitement raison Votre Grâce. Les jeunes filles devraient se contenter de broder ou de jouer d’un instrument ou aux cartes, cela sied mieux à leur nature délicate et…

– Merci Mr Collins, le coupa-t-elle, Fitzwilliam, c’est donc vous qui jouerez à notre table. Mrs Jenkinson ? Asseyez-vous ici ! imposa la lady avec un ton qui ne tolérait aucune opposition.

« Quelle rudesse ! » pensa Lizzie. Elle ne se souciait même pas de ce que pourraient bien faire ses autres invités, à savoir Charlotte, Maria et Mr Collins. Heureusement Charlotte leur proposa un jeu de charades.

Darcy conduisit Lizzie vers l’échiquier qui était dans un coin de la pièce, sous l’œil inquisiteur de Lady Catherine et le regard envieux du colonel. Le grand brun assista la jeune femme avec son siège, sans attendre qu’un valet de pied le fît. Il s’installa à son tour et tourna le jeu de manière à placer les blancs du côté de Lizzie.

– Honneur aux dames, dit-il en la regardant.

– Merci, vous êtes toute galanterie, Mr Darcy, dit-elle avec un sourire un peu moqueur.

– Platon a dit « On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation ».

– Cela vaut aussi bien pour les vertus que les vices, je suppose, répondit-elle cherchant ainsi à heurter son orgueil.

– J’espère posséder davantage des premières que des seconds.

Lizzie ouvrit le jeu en avançant le pion situé devant son roi de deux cases le plaçant ainsi en E4 (2). Darcy répondit en miroir par le même coup en E5.

– Vous admettez donc avoir quelques défauts, comme par exemple … l’orgueil Mr Darcy ?

– Bien sûr, personne n’en est dépourvu, mais je ne conçois pas l’orgueil comme étant un défaut s’il est usé avec intelligence et modération, et je me flatte que mon jugement n’en soit point affecté.

– N’est-ce pas un peu présomptueux de votre part que de penser cela ?

– Je ne pense pas que ce soit présomptueux que d’avoir conscience de sa propre valeur.

– Pourtant, l’humilité, que l’orgueil méprise et regarde comme une bassesse, fait toute la gloire et la véritable grandeur de la vertu. (3)

– Mais la fausse humilité n’est-elle point qu’un des masques, et le plus hypocrite, de l’orgueil ?

– Pour celui qui en abuse à vau-l’eau en société, en effet, mais l‘humilité et la sagesse, quoique mal vêtues, sont à préférer à la vanité et à l’ignorance, quelque richement vêtues qu’elles soient. (4)

Lizzie plaça l’un de ses cavaliers en F5. Le cavalier noir fit de même et se retrouva en C6.

– Vous connaissez William Penn ?

– Il est tout de même le Quaker le plus célèbre d’Angleterre et le fondateur de la province de Pennsylvanie.

Elle déplaça en diagonale le fou de son roi en B5. Darcy stupéfait pensa que peu de gens connaissaient ses écrits, lui-même ne l’avait découvert qu’à Cambridge. Cette femme avait une culture digne d’un universitaire et encore, des plus érudits. Il changea de thème pour diriger la conversation vers un sujet qui le préoccupait.

– Je présume que vous êtes rentrée sans encombre l’autre jour, s’enquit-il profitant que personne ne pût entendre.

– Comme prévu, j’avais six pouces (5) de boue sur mes jupes, mais je suis rentrée sans problème, monsieur.

– Les Collins ne vous ont pas posé trop de questions ?

Il avança un pion en A6, menaçant ainsi le fou blanc, l’obligeant à se placer en A4.

– Ils étaient surtout très inquiets et avaient envoyé des domestiques à ma recherche que j’ai rencontrés en chemin.

La partie se poursuivit, Darcy se sentait assez confiant en pensant que son adversaire ne jouait qu’au coup par coup, au mieux deux coups d’avance sans vraiment prévoir de stratégie à long terme. Il entama une discussion sur un nouveau sujet qui lui tenait à cœur.

– Vous avez vu le colonel ce matin ? la question, posée d’un air qu’il espérait être totalement innocent, était en fait rhétorique.

– En effet, il est passé nous faire une visite de courtoisie au presbytère. Pourquoi cette question ? elle avança un pion en C3.

– J’essaie juste de me montrer plus sociable en faisant la conversation, je pratique pour m’améliorer comme vous me l’avez conseillé, madame, il lui sourit et fit un petit roque (6).

– Je vous félicite, dit-elle mêlant charme et moquerie, puis elle avança un pion en B3.

Darcy était ennuyé d’apprendre que son cousin avait fait cette visite, seul. Aurait-il vraiment décidé de commencer à courtiser Elizabeth même de manière non officielle ? Cette idée lui oppressait la poitrine. A moins qu’il ne voulût juste badiner un peu ? Cette pensée qu’il éveillât des sentiments et des attentes chez la jeune femme ne lui plaisait guère mieux, mais son cousin était un homme d’honneur, il ne se jouerait jamais de la fille d’un gentleman, aussi insignifiante que fût sa famille. En tout cas, lui, ferait très attention à ne pas susciter de tels espoirs chez elle. Il lutterait contre cette inclination.

Il plaça le fou de la dame en B7, puis la regarda se concentrer sur le jeu. Elle fronça les sourcils et fit une moue avant de se mordiller la lèvre inférieure qui devint rouge vif comme une cerise prête à être dégustée… une cerise qu’il aurait bien mordillée avant de la sucer et… cela lui fit penser à son rêve… « Oh Seigneur ! Darcy pense à autre chose… pense à… pense à Lady Catherine… et regarde ailleurs ! » se réprimanda-t-il, mais ses yeux, en descendant plus bas pour se reporter sur l’échiquier, tombèrent sur ce petit grain de beauté qu’il connaissait maintenant si bien. Il fut hypnotisé. Les images de son rêve revinrent alors encore, non invitées et avec vengeance. Il sentit la chaleur envahir son ventre et le feu lui monter aux joues, il devint alors fiévreux. Ses muscles se contractèrent tant il était tendu et il se raidit jusqu’aux extrémités, toutes, sans exception… Il réajusta sa position sur son siège pour être plus confortable. Il était mortifié, cette diablesse l’avait encore ensorcelé.

– Ça ne va pas Mr Darcy ? demanda Lizzie, inconsciente de ce qui le troublait, après lui avoir signifié deux fois que c’était à son tour de jouer.

– Euh… pardon ? Si, si, ça va, il se passa la main sur son front perlé de sueur, puis dans les cheveux.

– Vous aviez l’air ailleurs. C’est à votre tour, dit-elle avec un petit sourire taquin.

– Oui… bien sûr… excusez-moi !

Le mieux était de se concentrer sur la partie. « Qu’a-t-elle donc joué ? Ah, le pion en D4. »

Lizzie, quant à elle, pensait qu’il n’était peut-être pas un si bon joueur et qu’il se sentait donc déjà en difficulté. Le jeu reprit, coup après coup et Darcy ne se méfia pas lorsque la dame blanche se retrouva exposée à sa dame noire, il n’hésita donc pas à la capturer pensant à une distraction de la part de son adversaire. Il la regarda, la mine désolée de la priver de sa pièce maîtresse, mais à sa surprise elle arbora un vilain sourire et ses yeux pétillèrent de joie. Il était perplexe. Il comprit quelques coups plus tard lorsqu’il se retrouva en difficulté avec plusieurs échecs, puis lorsqu’elle prononça son coup de grâce :

– Échec et mat !

C’était sans appel. Il était sidéré.

– Félicitations, madame, c’est une brillante victoire. Votre père vous a bien entraînée, il doit être un adversaire redoutable.

– En effet.

– Qui de vous deux gagne le plus souvent ?

– Au début c’était lui, maintenant les victoires sont plus équilibrées.

– M’accorderiez-vous une revanche ? il la regarda avec une supplique dans les yeux.

– Votre orgueil est-il atteint, monsieur ? le questionna-t-elle avec malice et un brin d’impertinence.

– Probablement, car Darcy était le champion à Cambridge, intervint le colonel qui venait de les rejoindre. Chaque année il remportait le tournoi d’échecs. Votre ego doit en prendre un coup de vous faire battre par une femme, n’est-ce pas cousin ? finit-il en le tapant dans le dos.

– Richard ! pour une fois, épargnez-moi vos sarcasmes, s’exclama-t-il sur un ton de réprimande et en levant les yeux aux ciel.

Lizzie rit de bon cœur de voir ces deux grands gaillards se titiller comme des gamins.

– Je ne peux donc faire autrement que d’accepter une seconde manche, Mr Darcy.

Lizzie devait bien s’avouer qu’elle avait ressenti un malin plaisir d’avoir battu cet arrogant et orgueilleux personnage. Ce fut une belle façon de le remettre en place et une belle leçon d’humilité. Tandis que celui-ci pensait qu’elle avait aimé jouer avec lui surtout pour être en sa stimulante compagnie, il était si sûr de sa désirabilité.

Le colonel avait prétexté un besoin naturel pour s’éclipser du jeu de cartes et venir espionner les joueurs d’échecs. Mais c’était sans compter sur Lady Catherine qui le rappela pour continuer la partie, laissant Lizzie et Darcy s’affronter dans une deuxième manche. Et cette fois-ci, le jeune homme resta concentré, et surtout, il ne refit pas l’erreur de sous-estimer Miss Elizabeth, si bien qu’il remporta la partie. Son honneur était sauf.

Malgré sa défaite Lizzie avait quand même apprécié cette deuxième manche, car Mr Darcy était un rude adversaire, probablement meilleur que son père. Elle était assez perspicace pour comprendre que le jeune homme l’avait sous-estimée la première fois et avait manqué de concentration. Jouer avec lui pourrait donc la faire progresser. Par contre, elle n’avait pas apprécié les regards toujours aussi intenses qu’il portait sur elle. Ils la mettaient mal à l’aise, mais pas pour les bonnes raisons, elle pensait qu’il la jugeait toujours juste passable, malgré ses excuses. Elle était loin de s’imaginer que c’était tout le contraire.

– Il nous faudra faire une troisième manche, Miss Bennet, afin de nous départager.

– Pourquoi pas, Mr Darcy, mais ce sera pour une autre fois, dit-elle en voyant les Collins s’approcher, il était clair qu’il était temps de rentrer.

– Oui, une autre fois, dit-il déçu de s’arrêter là.

Il y avait longtemps qu’il n’avait rencontré un si bon joueur, sûrement meilleur que Bingley qui était trop distrait et ne tenait pas en place, et il estima même meilleur que Richard qui pourtant était un bon stratège. De quoi occuper les longues soirées d’hiver à Pember… « Mais à quoi penses-tu encore Darcy !? », s’admonesta-t-il, surpris d’avoir à nouveau de telles pensées. De ce fait, il hésita trop longtemps avant de proposer son bras à Elizabeth pour la raccompagner avec ses proches vers la sortie, laissant le champ libre au colonel qui en profita pour lui offrir le sien avec plaisir. En passant près de Darcy, Richard lui lança discrètement un regard désapprobateur pour son manque de galanterie, ensuite il afficha un sourire narquois destiné à provoquer la jalousie de son cousin qui, finalement, regretta de ne point être à sa place. Richard avait donc fait, lui aussi, échec et mat à Darcy.

Mais à quoi jouait-il ?

Chapitre 7

En effet, quelles sont les véritables intentions du colonel ? Qu’en pensez-vous ?


Notes :

(2) Pour les connaisseurs, je me suis inspirée de l’une des plus célèbres partie d’échecs : Garry Kasparov VS Anatoly Karpov à Lyon en 1990.

(3) Citation de David Augustin de Brueys; Les amusements de la raison (1721)

David Augustin de Brueys, (1641-1723) : théologien et auteur dramatique français.

Source : Wikipédia

(4) Citation de William Penn ; Les fruits de l’amour d’un père (1790)

(5) 6 Pouces (inches en anglais) = 15 cm environ

(6) Petit roque : ici le roi noir se déplace de deux cases en direction de la tour de droite, et la tour se place immédiatement à gauche du roi, aucune pièce ne doit se trouver entre les deux.

Un blog sur les échecs: https://echecs-et-strategie.com/author/philippe-dornbusch/

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