Chapitre 9 : la mémoire des ancêtres de Pemberley
La sonate de l’amour II : à la conquête du bonheur
Chapitre 9 : la mémoire des ancêtres de Pemberley
Le même jour que le colonel Fitzwilliam avait réapparu dans la vie de Darcy, Lizzie travaillait sur un projet de cadeau pour son bienaimé. Cela n’avait pas été simple de trouver une idée, car William possédait déjà tout ce dont on pouvait rêver d’autant plus que les moyens de la jeune femme étaient limités, mais elle n’était pas à court d’idée et elle opta pour un présent personnel. Jane était avec sa femme de charge pour planifier le menu des prochains jours. La cadette était donc en train de s’appliquer à sa tâche lorsqu’un domestique entra pour l’informer qu’elle avait de la visite mais, à sa grande surprise, pas d’une personne qu’elle s’attendait à voir en ces lieux. En chemin vers le salon réservé aux visites, elle rencontra sa sœur qui avait aussi était avertie. Les deux sœurs étaient perplexes, que signifiait cette visite ? Que voulait cette personne ? Lizzie avait cependant une vague idée du sujet, mais ne savait pas à quoi s’attendre.
Elles entrèrent dans la pièce.
Lady Catherine qui les y attendait avait un air encore moins gracieux que d’habitude, elle ne répondit aux politesses des deux sœurs qu’en inclinant légèrement la tête et s’assit sans mot dire. Jane fut stupéfaite que Sa Grâce n’eût pas demandé à être présentée, mais sa bonté d’âme et ses manières irréprochables l’empêchèrent de retourner la rudesse dont elle était le réceptacle et reçut la « lady » avec toute la politesse requise.
Après un moment de silence, Lady Catherine dit assez sèchement à Elizabeth :
– J’espère que vous vous portez bien, Miss Bennet, ce fut davantage une remarque qu’une question.
Cependant, Elizabeth fit une brève réponse affirmative.
– Cette dame est votre sœur aînée, je suppose ?
– Oui, c’est bien ma sœur, Mrs Bingley, répondit Lizzie saisissant l’occasion de présenter Jane sans briser les conventions, mais avec une certaine impertinence.
– Votre salon n’est pas bien grand, reprit lady Catherine après une courte pause, et on sent un courant d’air. Cette pièce devrait être réservée pour les visites vespérales; elle est en plein couchant.
– Mais ce serait bien incommode pour les soirs d’été, la chaleur y serait étouffante, fit remarquer Lizzie avec un sourire.
Pour apaiser la tension qui s’installait, Jane pria Sa Grâce d’accepter quelque rafraîchissement, mais Lady Catherine déclara nettement, et sans beaucoup de formes, qu’elle n’avait besoin de rien ; puis, sans ambages, elle exigea de s’entretenir seule à seule avec Elizabeth et que le valet de pied sortît aussi de la pièce, elle ne voulait être dérangée par personne.
Les deux femmes attendirent en silence tandis que Jane et son servant sortaient de la pièce. Elizabeth était décidée à rester coite, elle ne voulait point se mettre en frais pour une femme qui se montrait, plus encore que d’habitude, impolie et désagréable.
« Comment ai-je jamais pu trouver que son neveu lui ressemblait ? » se demandait-elle en l’observant.
À peine se retrouvèrent-elles seules que Lady Catherine entama ainsi la conversation :
– Vous ne devez point être surprise, Miss Bennet, de me voir ici. Votre cœur, votre conscience vous ont déjà dit la raison de ma visite.
Elizabeth la regarda avec un étonnement sincère, car elle n’imaginait pas que Sa Grâce vînt en personne la féliciter de ses futures épousailles avec Darcy, alors que voulait-elle exactement ?
– En vérité, madame, vous vous trompez ; il m’est impossible de deviner ce qui nous vaut l’honneur de vous voir ici.
– Miss Bennet, répliqua Sa Grâce d’un ton irrité, vous devez savoir qu’on ne se moque pas de moi. Mais s’il vous ait gré de ne pas être franche, je ne vous imiterai pas. J’ai toujours été réputée pour ma sincérité et ma franchise, et dans des circonstances aussi graves, je ne m’en départirai certainement pas. Une nouvelle inquiétante m’est parvenue il y a peu : que, vous, Miss Elizabeth Bennet, vous alliez devenir l’épouse de mon neveu, de mon propre neveu, Mr. Darcy. Bien qu’il s’agisse là, d’une terrible mésalliance, probablement une compromission fomentée par vous-même, car je ne vois aucune autre raison, pour que mon neveu veuille vous épouser. Je ne voudrais pas faire à mon neveu l’injure de penser que cela fusse de son propre fait, et que seul son honneur l’y poussa. J’ai donc résolu immédiatement de me déplacer jusqu’ici pour vous faire connaître mes sentiments.
– Je puis vous assurer, qu’il ne s’agit pas d’une compromission, dit Elizabeth, le visage animé par l’indignation et le dédain.
– Alors vous avez dû user de vos charmes et votre habileté peuvent lui avoir fait oublier, dans un moment de vertige et d’égarement, ce qu’il doit à sa famille et à lui-même. Vous êtes capable de lui avoir fait perdre la tête, affirma-t-elle sur un ton accusateur.
– Assurément point ! rétorqua Elizabeth outrée par l’accusation. Je me demande pourquoi vous vous êtes imposé la fatigue d’un pareil voyage, si votre seule intention était de venir m’insulter. Quelle peut être l’intention de Votre Grâce ?
– C’est d’exiger qu’un tel mariage scandaleux n’ait point lieu.
– Et comment, répliqua froidement Elizabeth, comptez-vous vous y prendre, car je ne romprai pas mes fiançailles ?
– Ceci ne peut se supporter. J’insiste, Miss Bennet, pour avoir gain de cause. Vous devez renoncer à ce mariage, martela-t-elle d’un coup de sa cane sur le sol.
– Non, Votre Grâce je m’y refuse. Pourquoi devrais-je renoncer au bonheur ?
– Miss Bennet, savez-vous bien qui je suis ? demanda-t elle d’un ton hautain en relevant le menton. Je n’ai point l’habitude de m’entendre parler sur ce ton. Je suis la plus proche parente que mon neveu ait au monde, et j’ai le droit d’interférer dans ses affaires les plus intimes.
– Mais non pas les miennes. Et ce n’est pas votre façon d’agir, madame, qui me décidera à plier à vos exigences, déclara Lizzie d’un ton ferme.
– Comprenez-moi bien. Cette union, à laquelle vous avez la présomption d’aspirer, ne peut se réaliser, non, jamais! Mr. Darcy est fiancé à ma fille. Et maintenant, qu’avez-vous à dire ?
– Que vous accusez votre propre neveu de déshonneur, s’il en est ainsi, alors que vous l’avez gratifié de cette même qualité un peu plus tôt, répondit Lizzie avec calme ayant trouvé une faille dans le raisonnement de Lady Catherine.
Cette dernière hésita une seconde devant l’évidence de cette incohérence, puis reprit :
– L’engagement qui les lie est d’une espèce particulière. Depuis leur plus tendre enfance, ils ont été destinés l’un à l’autre. Ce mariage était notre vœu le plus cher, à sa mère et à moi. Nous projetions de les unir alors qu’ils étaient encore dans leur berceau. Et maintenant que ce rêve pourrait s’accomplir, il y serait mis obstacle par une jeune fille de basse naissance, sans fortune, et complètement étrangère à notre famille ?… N’avez-vous donc aucun égard pour les désirs des siens, pour son engagement tacite avec Miss De Bourgh ? Avez-vous perdu tout sentiment de délicatesse, tout respect des convenances ? Maintenant que vous savez que, dès ses premières années, il était destiné à sa cousine, m’obligerez-vous ? Lady Catherine pondéra chaque question d’un coup de cane sur le sol.
– Mais votre neveu a démenti l’information. Si la seule objection à mon mariage avec votre neveu est le désir qu’avaient sa mère et sa tante de lui voir épouser Miss de Bourgh, elle n’existe pas pour moi. Vous avez fait ce qui était en votre pouvoir en formant ce projet ; son accomplissement ne dépendait pas de vous. Si Mr Darcy ne se sent lié à sa cousine ni par l’honneur, ni par l’inclination, pourquoi ne pourrait-il faire un autre choix ? Et si c’est moi qui suis l’objet de ce choix, pourquoi refuserais-je ? demanda la jeune femme avec détermination.
– Parce que l’honneur, les convenances, la prudence, et votre intérêt même vous l’interdisent. Oui, Miss Bennet, votre intérêt ! déclara-t-elle en la pointa du doigt, car n’allez pas vous imaginer que vous serez accueillie par sa famille ou ses amis, si vous agissez volontairement contre leur désir à tous. Vous serez blâmée, dédaignée et méprisée par tous les gens de sa connaissance ; cette alliance sera considérée comme un déshonneur, et votre nom ne sera même jamais prononcé parmi nous.
– Voilà en effet de terribles perspectives ! répliqua Elizabeth ; mais la femme qui épousera Mr Darcy trouvera dans ce mariage de telles compensations que, tout compte fait, elle n’aura rien à regretter.
– Fille impertinente et obstinée ! Quelle impudence ! Vous me faites honte ! scanda-t-elle encore de sa cane pour engendrer des coups de tonnerre qu’un dieu assènerait sur un mortel pour avoir fauté. Est-ce donc ainsi que vous reconnaissez les bontés que j’ai eues pour vous au printemps dernier ? N’avez-vous point, de ce fait, quelque obligation envers moi ? Il faut que vous compreniez, Miss Bennet, que je suis venue ici absolument déterminée à voir ma volonté s’accomplir. Rien ne peut m’en détourner ; je n’ai pas coutume de céder aux caprices d’autrui.
– Tout ceci rend la situation de Votre Grâce plus digne de compassion, mais ne peut avoir aucun effet sur moi.
– Ne m’interrompez pas, je vous prie ! Ma fille et mon neveu sont faits l’un pour l’autre ; ils descendent du côté maternel de la même noble souche, et du côté paternel de familles anciennes et honorables quoique non titrées. Leur fortune à tous deux est énorme. Tout le monde dans les deux familles est en accord pour désirer ce mariage. Et qu’est-ce qui les séparerait ? Les prétentions extravagantes d’une jeune personne sans parenté, relations, ni fortune… Peut-on supporter chose pareille ? Non, cela ne doit pas être, et cela ne sera pas ! Bang : un nouveau coup de son bâton-tonnerre. Si vous aviez le moindre bon sens, vous ne souhaiteriez pas quitter le milieu dans lequel vous avez été élevée.
– Je ne considère pas que je le quitterais en épousant votre neveu. Mr Darcy est un gentleman, je suis la fille d’un gentleman : sur ce point, nous sommes égaux.
– Soit, vous êtes la fille d’un gentleman. Mais qui est votre mère ? Et vos oncles, et vos tantes ?…
– Quelle que soit ma famille, si votre neveu n’y trouve rien à redire, vous n’avez pas à vous occuper d’elle.
– Répondez-moi une fois pour toutes ; renoncerez-vous à ce mariage ? Bang !
– Non, je ne le ferai pas. Je me refuse absolument à rompre l’engagement qui me lie à un homme que j’aime et qui m’aime.
Lady Catherine parut outragée, puis méprisante.
– Mais qu’est donc l’amour face à de bonnes connexions et une belle dot ? ricana-t-elle avec mépris, Miss Bennet, je suis stupéfaite et indignée. Je pensais vous trouver plus raisonnable. Mais n’allez pas vous imaginer que je céderai. Je ne partirai pas d’ici avant d’avoir obtenu ce que je désire. Bang !
– Et moi, je ne me plierai certainement jamais à votre volonté. Ce n’est pas par intimidation que l’on parviendra à me faire faire une chose aussi déraisonnable. D’autant plus que le déshonneur d’une telle rupture de ma part rejaillirait sur ma toute famille et réduirait à néant l’espoir d’un mariage pour mes trois plus jeunes sœurs. Enfin, Votre Grâce désire marier sa fille avec Mr Darcy, mais la rupture de mes fiançailles que vous exigez rendra-t-elle plus probable leur mariage ? Mr Darcy m’aime, alors mon refus le poussera-t-il à reporter son affection sur sa cousine ? Permettez-moi de vous dire, Lady Catherine, que les arguments par lesquels vous appuyez une démarche si extraordinaire sont aussi vains que l’approche est malavisée. Vous me connaissez bien mal si vous pensez qu’ils peuvent m’influencer le moins du monde. Jusqu’à quel point Mr Darcy peut approuver votre ingérence dans ses affaires, je ne saurais le dire ; mais vous n’avez certainement pas le droit de vous occuper des miennes. C’est pourquoi je demande à ne pas être importunée davantage sur ce sujet.
– Pas si vite, je vous prie ! Je n’ai pas fini. Ne croyez pas, Miss Bennet, que votre ambition puisse triompher. Je suis venue pour essayer de m’entendre avec vous ; j’espérais vous trouver plus raisonnable. À quoi pensez-vous, grand Dieu !
– Après cela, vous n’avez certainement rien à ajouter, répliqua Elizabeth amèrement. Il n’est pas une seule insulte que vous m’ayez épargnée. Je vous prie de bien vouloir me laisser tranquille, tout en parlant, Lizzie fit un pas en avant.
Mais Lady Catherine ne bougea pas d’un pouce, car elle n’en avait pas terminé, son ire était immense.
– Très bien. Vous refusez donc de m’obliger. Vous refusez d’obéir à la voix du devoir, de l’honneur, de la reconnaissance. Vous avez juré de perdre mon neveu dans l’estime de tous ses amis, et de…
– Il suffit ! raisonna une voix forte et grave d’une personne qui entrait dans la pièce, faisant sursauter les deux femmes.
– Darcy ! s’exclama Lady Catherine, vous tombez à point nommé, car j’ai deux mots à vous dire, vous ne pouvez décemment pas vouloir vous lier à une famille de si basse naissance, avec une jeune femme qui fait preuve d’un tel manque de décorum et qui…
– Ne ressentez-vous aucune honte, Lady Catherine ? l’interrompit le jeune homme en accentuant sur le terme de Lady que manifestement sa tante bafouait par son comportement inqualifiable. Qui manque de décorum, ici, en venant insulter ma future épouse dans la maison de sa propre sœur ? Et en parlant si fortement que tout un chacun ici aura tout entendu ? Qui déshonore le nom des Fitzwilliam, si ce n’est vous ? demanda Darcy, d’une voix blanche tandis que ses yeux lançaient des flammes. Il maintenait tant bien que mal l’intensité de sa voix à un niveau raisonnable afin d’assurer la discrétion.
Darcy, qui venait faire sa visite quotidienne à sa fiancée, avait entendu la fin de l’altercation depuis le bout du couloir qui menait au salon. Il était à la fois mortifié et en colère en entendant les insultes de sa tante envers sa bienaimée, mais il ressentait aussi de la fierté en entendant Elizabeth répondre avec ténacité en clamant son amour pour lui, et son amour pour elle grandit encore, si cela était encore possible. Visiblement, elle n’avait pas besoin de son aide pour dompter son dragon de tante, mais ce fut plus fort que lui, une poussée d’un sentiment protecteur l’avait envahi. Et tel un chevalier en armure, il était entré dans la pièce pour terrasser la bête infâme qui avait osé lancer son fiel sur sa reine. Il avança furibond et s’était interposé entre sa tante et sa belle pour faire écran tel un bouclier.
– Mais vous ferez la risée du monde, joua-t-elle la carte de l’orgueil.
– Et bien soit ! Je n’ai que faire de l’opinion de ce monde-là. Ma félicité ne leur appartient pas.
– Et Georgiana ? y avez-vous pensée ? Quelles seront ses chances de faire un bon mariage si vous persistez dans votre folie ? invoqua-t-elle la carte de la culpabilité envers sa très chère sœur.
– Georgie et moi en avons discuté et nous sommes d’accord sur le fait que si un futur prétendant se laissait détourner par de telles considérations, en lui tenant rigueur du choix de cœur de son frère, ce serait un test pour éliminer de futurs prétendants qui n’auraient que leur propre intérêt à cœur. Elle aussi désire un mariage d’amour et je ne serai pas celui qui lui dénierait un tel bonheur !
– Baliverne ! Quelle sottise ! Cette petite intrigante vous a donc ensorcelé !
– Je ne tolérerai aucune insulte supplémentaire. Et vous oubliez que si je rompais les fiançailles, le scandale entacherait le nom des Darcy.
– Un scandale qui serait vite oublié, alors qu’un mariage porterait le déshonneur sur vous et votre famille toute votre vie. Laisserez-vous la mémoire des anciens maîtres de Pemberley être à ce point souillées ? Bang !
– Il n’y a rien que vous puissiez me dire qui me fasse changer d’avis. Je suis le maître de de la lignée des Darcy, pas vous !
– Très bien, mais vous êtes aussi un Fitzwilliam. Je sais maintenant ce qu’il me reste à faire. Ne croyez pas, que cette parodie de mariage aura lieu. Ne vous y trompez pas, ce que je veux, je saurai l’obtenir et je vais de ce pas en parler à mon frère, le comte de Matlock !
Lady Catherine tourna les talons dans un bruissement d’étoffes et se dirigea vers la porte, alors, se retournant vivement, elle ajouta :
– Je ne prends pas congé de vous, Miss Bennet ; je ne vous charge d’aucun compliment pour votre sœur. Vous ne méritez pas cette faveur. Quant à vous Darcy, nous en reparlerons. Je suis outrée !
Elle frappa sa cane une dernière fois sur le sol afin de se signaler au valet de pied posté à l’extérieur, mais il n’ouvrit pas la porte immédiatement.
– N’y a-t-il donc personne pour ouvrir cette porte ! vociféra-t-elle. La gestion de cette maison, est vraiment déplorable !
Quand, l’objet de son offense s’ouvrit enfin par la grâce de Darcy, qui savait qu’il n’y avait point de domestique, elle franchit le seuil. Le jeune homme referma la porte derrière elle et se retourna vers Lizzie.
Les deux fiancés étaient abasourdis.
Chapitre 10 à venir
Eh non, ce ne fut pas le colonel qui venait rendre visite à Lizzie (pas encore) 😉
Je me suis largement inspiré d’une scène de l’œuvre originale pour ce chapitre, avec une légère variante à la fin qui, je l’espère, vous a ravis … Il fallait bien que Lady Catherine mette son grain de sel, maintenant comment vont réagir les Matlock et surtout Lady Claire ? Va-t-elle trouver une alliée en sa belle-sœur ?
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