Chapitre 8: Waterloo
La sonate de l’amour II: à la conquête du bonheur
Chapitre 8: Waterloo
AVERTISSEMENT : ce chapitre comporte des descriptions de scènes de guerre ; âmes sensibles passez votre chemin, cela ne vous empêchera pas de comprendre la suite.
J’ai écrit ce chapitre pour rendre hommage, à tous ces courageux soldats qui combattent partout dans le monde depuis la nuit des temps, impliqués dans des guerres insensées initiées ou provoquées par la folie de quelques hommes ou dictateurs devrais-je dire, quel que soit le camp.
J’ai fait énormément de recherches en croisant différentes sources, témoignages de soldats…, toutefois si vous constatez des erreurs, n’hésitez pas à me les signaler.
***
L’histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, de champs dévastés, de villes réduites en cendres.
– Denis Diderot –
Chapitre 8 : Waterloo
Et le colonel Fitzwilliam, devenu soudainement vulnérable, commença son terrible récit …
– Au soir du 16 juin 1815 Napoléon Ier avait remporté la bataille de Ligny contre les Prussiens du maréchal Blücher. Je n’avais pas participé, car la cavalerie n’y était pas présente, mais la nouvelle de la défaite avait démoralisé les hommes qui commençaient à penser que ce maudit Français allait encore dominer l’Europe. Mais là nous n’avions pas compté sur la détermination du général Wellington qui avait rassemblé ses troupes. Une deuxième bataille eut lieu dès le lendemain à Quatre-Bras où nous parvînmes à empêcher le général français Ney de s’emparer du carrefour qui était vital. Malgré les milliers de vies perdues, à peu près également de part et d’autre, aucun avantage stratégique ne s’était finalement dégagé. Les deux armées étaient actuellement dans une impasse et nous savions que la prochaine bataille aurait été décisive.
– Le Duc de Wellington avait choisi la crête du mont Saint-Jean face au sud, où il avait établi son quartier général dans l’ancien relais de poste : La belle alliance. Il avait déployé son armée à cet endroit, car cette position avait plusieurs raisons stratégiques et tactiques pour sa sélection. Entre autres, elle barrait la route principale de Napoléon vers Bruxelles et elle n’était qu’à 7 ou 8 miles de Wavre, où l’armée prussienne s’était regroupée. Nous avions dû marcher sous la pluie pour atteindre cette crête située à environ 3 miles au sud du village de Waterloo. Un véritable torrent de fortes pluies avait commencé à tomber rendant le terrain très glissant, et il était devenu difficile de garder l’équilibre en descendant la pente raide. Nous étions maintenant tous trempés jusqu’aux os. Le ciel était rempli d’éclairs, et le bruit du tonnerre se mêlait au bruit des canons qui tiraient à distance. Nous avions l’impression que les éléments de la nature se déchaînaient comme de mauvais auspices.
Richard savait qu’il se perdait dans les détails, mais cela l’aidait à se préparer à raconter le pire et Darcy était un bon auditeur, patient.
– La seule nourriture que nous avions étaient les biscuits qui nous avaient été distribués la veille, or nous avions déjà mangé la plupart d’entre eux. Nous passâmes toute la nuit dans la boue, sous la pluie battante. Il n’était pas question de s’allonger. Nous avions rassemblé des brassées de maïs pour en faire des paquets pour pouvoir nous asseoir avec nos couvertures au-dessus de nos têtes pour nous tenir au chaud, récupérer et rassembler toutes nos forces. Il fut difficile de fermer l’œil à cause des conditions horribles, mais aussi à cause de l’angoisse. Les hommes discutèrent de leurs perspectives pour la prochaine bataille, et l’opinion générale était que ce serait une très sévère, il fit une pause, car vous savez, Darcy, deux des plus grands généraux du monde étaient sur le point de croiser le fer.
– Peu après l’aube, ce fameux 18 juin, la pluie enfin cessa et les hommes purent ramasser du bois de chauffage dans la forêt de Soignes voisine. À six heures, le soleil commença à briller, ce qui réjouit tout le monde. Nous commencions à regarder autour de nous et à nettoyer nos fusils en prévision de la bataille.
– J’étais déjà en train d’émettre des ordres comme tous les officiers d’état-major. Mais une chose était étrange : il était déjà dix heures et la bataille n’avait toujours pas commencé. Apparemment, les conditions météorologiques de la nuit précédente avaient gêné la progression des Français, certaines unités arrivèrent en retard. Ce fut décisif, car les Prussiens eurent ainsi le temps de nous rejoindre. L’artillerie française ouvrit la bataille en fin de matinée. Les combats continuèrent toute la journée jusque dans la soirée.
– J’ai appris ensuite qu’environ 200 000 hommes avec 60 000 chevaux et plus de 500 canons étaient engagés. Le champ de bataille constitué de terres agricoles était très peu étendu pour contenir autant d’hommes. Les deux armées s’affrontèrent à travers un espace qui ne serait jamais plus large qu’un mile.
– Au fur et à mesure que les combats progressaient, le sol se tapissait d’hommes et de chevaux morts, et de mourants appelant à l’agonie. Lors de la charge de la cavalerie que je menais sur un carré d’infanterie ennemie, ma monture s’écroula sous moi, atteinte par une balle de mousquet. J’arrivai à libérer ma jambe de l’étrier et de la soulever pour qu’elle ne soit pas écrasée sous le poids de mon cheval, mais je tombai au sol avec lui. Je me relevai, et je n’eus pas le temps de m’attrister sur le sort de mon fidèle destrier, car je me retrouvai dans la mêlée et je dus défendre ma vie, mon sabre en main. Je ne comptais plus les hommes que je transperçais, entaillais, découpais, je bataillais comme un diable pour ma survie. C’étaient eux ou moi, vous savez. J’eus l’occasion de sauver la vie d’un compagnon d’arme de l’attaque d’un fantassin, mais je ne pus rien faire pour mon aide de camp, le capitaine Knight : je le vis tomber à quelque distance de moi, transpercé par la lame d’un autre fantassin.
Darcy lut la douleur encore vive dans les yeux humides de son cousin.
– A la fin de cet assaut j’étais à bout de souffle, couvert de sueur, de boue et de sang, mais ce n’était pas le mien. Ce fut alors que j’eus le temps de ressentir toute la peine de la perte de mon fidèle et dévoué ami ; le capitaine Knight m’avait assisté depuis plusieurs années. Nous avions tant partagé depuis la campagne d’Espagne. Je pus aussi prendre conscience de ce qui m’entourait. J’ai une longue expérience des champs de bataille, comme vous le savez Darcy, mais face à l’odeur âcre de la poudre à canon mêlée à la puanteur du sang, des vomissures et des excréments de dizaines de milliers d’hommes et de centaines de chevaux, ajoutées à la perte du capitaine, je rendis le peu que contenait mon estomac.
– Tant de vies massacrées, de familles brisées, tout cela à cause de l’ambition démesurée d’un tout petit homme ! Quelle folie ! Je me redressai et j’observai les mouvements des troupes. Je m’étais retrouvé au bord de la zone des combats. Je constatai que les Français étaient dans une sale posture. Je vis que Napoléon appelait sa Garde Impériale dans une dernière tentative désespérée. Ces militaires endurcis étaient sa création personnelle et étaient plus redoutés que les autres. Ils étaient tous de haute stature et affublés d’un haut bonnet poilu avec de longues plumes rouges qui s’agitaient avec le hochement de leur tête amplifiant leur apparence gigantesque.
– A cause des fréquents changements de formation, il régnait une certaine confusion. Visiblement, le Duc de Wellington repéra le danger et envoya le major Dawson Kelly pour régler le problème. Ce dernier ordonna aux hommes de revenir dans la ligne et demanda à tous ceux qui étaient à même de combattre de vérifier leurs silex et d’amorcer leurs mousquets. Privé de mon cheval, je pris part à l’attaque avec eux. Tandis que la colonne d’assaut de la Garde Impériale apparaissait à travers la fumée, une volée bien dirigée nous arrêta. Le massacre fut terrible.
Richard se tut pendant un instant, le regard perdu dans les images horribles de ses souvenirs. Il frotta sa jambe gauche avant de reprendre son récit. Il appréciait que Darcy, visiblement très compréhensif, l’avait laissé rassembler ses esprits en silence et ne l’avait pas interrompu.
– Alors que l’ultime combat se terminait, je sentis soudain une vive douleur me traverser la cuisse gauche. Je venais de recevoir une balle. Mes oreilles sifflaient à cause du bruit assourdissant et répété de l’artillerie. Je me déplaçai tant bien que mal. Je perdais énormément de sang et je savais que pour m’en sortir, je devais absolument arrêter l’hémorragie. Après quelques pas je m’écroulai sur le sol, j’ôtai ma veste et avec ma lame je découpai une large bande de ma chemise. La douleur était intense et la tête me tournait, mais je continuai ma tâche. Je sortis mon mouchoir de ma poche et j’appuyai fortement sur le point d’entrée de la balle, je me rappelle mon soulagement de constater que l’os n’avait pas été touché. Enfin, j’entourai la cuisse blessée de la bande de lin que je nouai serrée sur le mouchoir pour le maintenir en place. Alors que la fumée produite par les armes s’éclaircissait tel un spectre malfaisant emportant avec lui les âmes des soldats massacrés, la dernière chose que je vis avant de perdre connaissance, ce fut le dos des Grenadiers Impériaux qui battaient en retraite en bas de la pente et je sus que la bataille était finie. Le ciel commençait à s’assombrir. Nous avions gagné.
Richard soupira.
– Une suite de mauvaises décisions, mais probablement aussi, et heureusement pour nous, un excès de confiance de la part de Napoléon Bonaparte avaient engendré, pour l’armée française, le désastre.
– Quand je repris connaissance, le soleil s’était déjà levé, j’étais sur mon flanc droit et n’avais aucune force au point que je ne pouvais appeler à l’aide. J’entendais quelques gémissements au loin. J’étais conscient, mais mon esprit était brumeux et mon corps ne m’obéissait pas, comme piégé dans un rêve, ou plutôt un cauchemar, et le pire que j’eus jamais fait. La soif et la faim me tenaillaient en plus de la douleur. C’était comme un feu qui me brûlait le ventre. Je levai un peu la tête et je vis les corps des victimes qui gisaient partout dans le sang et la boue. Beaucoup d’entre eux étaient dénudés, probablement victimes des pillards qui s’étaient déjà, sans doute, répandus sur le champ de bataille dès la fin des combats ; j’avais déjà vu cela dans le passé. Mon hypothèse se vit confirmée lorsque j’aperçus deux hommes, des paysans d’après leurs vêtements, qui volaient les morts et les mourants : montres, bijoux, pièces sont normalement leur butin…, mais pas seulement, et en effet l’un d’eux avait une pince : les cadavres sont la meilleure source de dents en or, ou de remplacement, des ensembles complets de dents saines sont très précieux aussi. Le champ de bataille ressemblait à une scène de L’Enfer de Dante. Lorsque l’un des pilleurs s’approcha de moi pour me faire les poches, je gémis, ce qui sauva probablement ma dentition… mais pas mes poches. Quand ils s’éloignèrent je fus à nouveau seul. Je me rappelle que je priais que l’une des charrettes qui venaient récupérer les morts et les blessés vînt au plus vite, mais j’ai dû perdre à nouveau connaissance, car lorsque je rouvris les yeux, le soleil entamait sa course descendante dans les cieux et j’étais encore là. J’avais froid et je me sentais nauséeux, et tout le côté sur lequel j’étais resté était engourdi. Je sus alors que si je ne me sortais pas de là moi-même, j’allais mourir. Je me tournai sur mon dos et j’aperçus, de mon autre côté, une gourde abandonnée. Dans un effort ultime, je l’atteignis. Mes mouvements étaient au ralenti et j’avais l’impression que mon bras pesait trente livres au moins. Je bus ce qui restait à petites goulées. Après quelques minutes je me sentis un peu mieux et réussis à me redresser tant bien que mal en position assise. Le sang qui afflua dans mes membres droits me provoqua des fourmillements désagréables, mais au moins j’étais encore en vie et ma blessure ne saignait plus. Après quelques minutes je réussis enfin à me mettre sur trois de mes membres non blessés. Un fusil près de moi m’aida à me relever après plusieurs tentatives infructueuses. En boitant et en contournant les corps, je me dirigeai vers un cheval qui errait, au moins pour cela la chance me souriait. Je l’appelai gentiment, me saisis des rênes et me hissai sur son dos, tant bien que mal. Je devais essayer de rejoindre le château-ferme d’Hougoumont, d’après l’estimation de ma position, c’était le plus proche des sites transformés en redoutes.
Mais en avançant un peu, j’aperçus au loin que la plupart des bâtiments du domaine d’Hougoumont étaient en ruine ou incendiés. Je savais que je devais trouver de l’aide, peut-être dans une ferme des environs. J’étais hagard sur ma monture, à demi-conscient me laissant guider plus ou moins par le cheval qui m’éloigna de ce champ de carnage et de dévastation. Très vite, je dus m’arrêter à cause de la nuit. Je me laissai glisser sur le sol, je défis la couverture qui était attachée sur ma monture dont j’attachai les rênes à l’une des plus basses branches d’un jeune cerisier, puis je m’écroulai à son pied. Cet arbre m’offrait par la même occasion des fruits tombés à même le sol que je dévorai sans plus de cérémonie – quelques noyaux aussi, sans doute, avant de sombrer de nouveau dans l’inconscience jusqu’au matin.
– À mon réveil, je dévorai encore quelques poignées de cerises et dans un ultime effort, je me perchai sur une souche d’arbre pour me hisser avec grand peine sur le dos du cheval, puis je repris mon chemin. Ce fut quelques miles plus loin que ma route croisa celle de Lady Cordelia…
Richard avait terminé son terrible récit qui avait ému Darcy jusqu’aux larmes.
– Je n’ai pas de mots Richard, pour exprimer toute la peine que j’éprouve à l’écoute de votre histoire ; c’est vraiment terrible, dit Darcy en posant sa main sur le bras de son cousin tout en souhaitant qu’il quitte définitivement l’armée.
Chapitre 9 à venir
Sources :
Micheldamiens wordpress.com
Revolvy.com
Colonialwargaming.co.uk
Royalarmouries.org
waterloo200.org
britishcavalryregiments.com
Wikipedia
La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.
O&P
Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre.
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