Chapitre 6 : thé chez les Matlock
Merci pour vos likes ♥️
La sonate de l’amour II: à la conquête du bonheur
Chapitre 6 : thé chez les Matlock
Quant Lizzie fut introduite dans le salon richement décoré de la résidence des Fitzwilliam, elle vit d’abord les Matlock, assis côté à côté sur un divan. Près de la cheminée, juste à leur gauche, elle aperçut ensuite un homme d’une bonne trentaine d’années qu’elle supposa être leur fils aîné, donc le Vicomte Milton, qui se tenait près d’une femme à peu près du même âge qui devait être son épouse, Lady Susan, qui était assise sur un fauteuil. Les présentations furent faites avec ces deux derniers. Le vicomte inclina légèrement sa tête en signe de salut, sans dire un mot, et Lizzie lut du dédain dans le regard de Lady Susan qui la jaugea des pieds à la tête et de la tête aux pieds. Évidemment sa tenue était bien plus simple que celles des deux Ladies ornementées de dentelles les plus délicates, et même que celle de Jane qui avait acquis de nouvelles toilettes bien plus raffinées qu’elle. Lizzie touchait du doigt pour la première fois ce que William lui avait expliqué sur l’importance des toilettes dans son monde, et regretta un peu de ne pas pouvoir déjà bénéficier de celles qu’elle avait commandées.
Dire qu’elle et Jane étaient les bienvenues ici était certainement un enjolivement de la situation. Toutefois, Lizzie ne se démonta pas et décida de montrer que les bonnes manières n’étaient pas là où l’on s’y attendait le plus, et n’étaient point l’apanage de la noblesse.
Les nouveaux arrivés furent invités à prendre place sur les sièges encore disponibles et le dialogue commença par les habituels et banals sujets de conversation. Le Vicomte enfin se montra plus agréable que son épouse qui révéla un côté fielleux.
– La coupe de votre tenue vous va à ravir Miss Bennet, remarqua Lady Susan avec un sourire mièvre, elle était très en vogue, elle marqua une pause pour l’effet, il y a deux ans. Avez-vous une bonne couturière à Longb… euh comment déjà, à Longbeach ?
Le but de la question ne laissait aucun doute avec le ton peu subtil employé qui était plein de perfidie et de sous-entendus. Lizzie se fustigea encore d’avoir mal réagi lorsque William avait évoqué le sujet de sa garde-robe, à l’évidence il connaissait bien les langues de vipères qu’il côtoyait, il n’avait pas honte d’elle, il voulait simplement lui éviter des humiliations publiques de ce genre.
– À Longbourn, non, car c’est notre demeure, reprit subtilement Lizzie, nous allons le plus souvent à Luton lorsque nous voulons une nouvelle robe, ou quelque fois à Londres lorsque nous sommes en visite chez mon oncle et ma tante.
– Vous avez de la famille en ville ? Qui sont-ils ? Peut-être les connaissons-nous, demanda le Vicomte qui était arrivé chez ses parents juste avant la rencontre et qui ignorait encore tout le contexte familial des Bennet.
– Mon oncle est Mr Edward Gardiner, répondit Lizzie succinctement.
– Gardiner… non, cela ne me dit rien, songea-t-il.
– Milton, y a-t-il longtemps que vous avez visité Tattersall’s (1) ? Savez-vous si je pourrais y dénicher en ce moment une belle jument très docile ? intervint Darcy qui devina quelle serait la question suivante, or il ne voulait pas mettre plus avant dans l’embarras sa fiancée et sa sœur.
– Quel drôle de sujet de conversation à choisir en bonne compagnie, cousin, remarqua Lady Susan, à moins que la compagnie ne soit pas si bonne que cela après tout, finit-elle en ricanant derrière son éventail.
– En étudiant la manière de répondre de certains, on peut effectivement se poser la question, rétorqua Darcy qui n’avait pas l’habitude de mâcher ses mots et encore moins avec Lady Susan qu’il ne supportait pas.
– Oh cousin, que vous êtes méchant ! s’exclama Lady Susan en le frappant sur son avant-bras avec son éventail, vous allez effaroucher votre future épouse à trop vouloir montrer votre côté rabat-joie, finit-elle avec une étincelle sournoise dans les yeux.
– Ne vous inquiétez pas pour moi, Lady Susan, ma détermination et mon courage ne font que s’affermir, chaque fois que quiconque essaye de m’intimider, ajouta Lizzie avec un joli sourire et de l’espièglerie dans les yeux.
En faisant penser qu’elle visait Darcy avec sa remarque, la véritable cible de cette réplique n’échappa à personne dans l’assemblée. Le comte se délectait dans son coin de voir ainsi remettre à sa place, avec esprit et intelligence, une belle-fille qu’il n’appréciait guère. Il s’adressa à Elizabeth sur ses sujets de lecture favoris et eut la bonne surprise de découvrir qu’elle ne s’intéressait pas qu’aux romans d’amour habituellement appréciés par les jeunes filles. Une nouvelle découverte l’étonna lorsqu’il apprit les connaissances d’Elizabeth sur les techniques d’élevage et les cultures… ce qui fut encore moqué par Lady Suzan et défendu par Darcy.
Lady Claire brûlait d’impatience d’avoir un tête-à-tête avec Elizabeth pour la questionner afin de bien cerner la jeune femme qui avait envoûté son neveu.
– Miss Bennet, me permettriez-vous de vous montrer quelques portraits des Darcy réalisés dans leur plus jeune âge ?
– Avec plaisir Lady Claire, répondit celle-ci avec un sourire.
Lady Claire l’entraîna vers la galerie de portraits sous le regard inquiet de Darcy qui avait deviné son intention. Il soupira intérieurement en pensant au moment désagréable qu’allait subir Lizzie. La comtesse n’attendit pas alors qu’elles se trouvaient devant un tableau de William adolescent et Georgiana enfant, avant de prendre la parole.
– Darcy et Georgiana, sont comme nos enfants pour mon époux et moi, alors je ne vais pas y aller par quatre chemins, Miss Bennet. Je voudrais m’assurer de l’authenticité de votre inclination envers mon neveu, et que ce n’est point uniquement le Maître de Pemberley que vous voulez épouser, commença-t-elle avec franchise.
– La demande que Mr Darcy eut le grand honneur de me faire n’était point la première offre avantageuse que j’ai reçue et que j’ai pourtant déclinée, dit Lizzie avec assurance teintée d’une pointe d’indignation.
– Et qui donc, je vous prie, vous avait également demandée en mariage ? s’enquit-elle pour tester la jeune femme sachant très bien qu’il s’agissait de Darcy.
– Vous ne pensez tout de même pas que j’expose ce gentleman au ridicule, questionna-t-elle en choisissant le ton de l’humour pour adoucir le caractère impertinent de ses mots, mais sachez qu’une offre en tout point équivalente m’a été faite l’année passée.
– Alors pourquoi avoir décliné, n’était-ce point inconsidéré et imprudent de la part d’une jeune fille de votre… condition ? la comtesse voulait creuser le sujet.
– Mon cœur n’avait point été touché, « encore » pensa-t-elle ce dernier mot, or je n’envisage le mariage que dans le respect et l’amour partagés.
– Je sais qu’il s’agissait de Darcy, puisqu’il nous l’a confié, déclara Lady Claire pour sonder la réaction de Miss Bennet qui montra de la surprise, alors qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
– J’ai découvert l’homme bon et généreux qui était caché sous son épais manteau d’arrogance et de convenances, répondit Lizzie sans détour et avec une certaine audace.
– Êtes-vous toujours aussi directe, Miss Bennet ?
– En effet, je n’ai pas pour habitude de pratiquer la langue de bois, tout comme vous Comtesse, répondit-elle avec un sourire pour adoucir ses mots.
– Vous voyez certainement cela comme une qualité, cependant dans la haute société, trop de franchise de la part d’une nouvelle venue peut être un sérieux handicap. Vous n’avez pas encore fait de Saison en ville, n’est-ce pas ?
– Non, en effet.
– Alors comment supposez-vous être capable de guider Georgiana lors de son entrée dans le monde ? demanda Lady Claire sans malice, elle était juste sincèrement inquiète aussi pour sa nièce.
– Elle ne fera pas ses débuts avant un an ou deux, d’ici là j’aurai participé au moins à la prochaine Saison et fait connaissance avec votre milieu. Et puis vous serez là aussi pour la conseiller et l’éclairer dans ses choix, ainsi que les écueils à éviter, répondit Lizzie avec assurance.
C’était une façon de montrer sa détermination, mais aussi de faire comprendre à Lady Claire qu’elle aurait toujours un rôle à jouer dans la vie de Georgiana, qu’il était même souhaité. Elizabeth soulignait ainsi qu’elle ne chercherait pas à évincer la comtesse de la vie de sa nièce. Elle savait que Darcy avait une grande estime de cette tante-là et qu’elle devait absolument gagner celle de Lady Claire. Celle-ci le comprit et commença à se radoucir avant de changer de sujet.
– Vous avez visité Pemberley et Darcy House d’après ce que je sais, vous devez donc avoir compris que la prochaine Mrs Darcy devra assumer de lourdes responsabilités, vous en sentez-vous capable ?
– Mon père m’a enseigné comment tenir un livre de comptes et ma mère à gérer la domesticité « aussi réduite soit-elle » pensa-t-elle, et à prendre soin de nos métayers. Alors même si j’ai bien conscience que l’échelle de Pemberley est bien différente, j’espère pouvoir compter sur vos conseils, moi-aussi, ainsi que pouvoir m’appuyer, dans les débuts tout au moins, sur le personnel compétent de Mr Darcy qui a su s’occuper parfaitement de ses propriétés sans aucune maîtresse depuis plus d’une décennie. Je puis vous assurer de mon désir le plus sincère d’apporter tout mon soutien à mon futur époux dans la prise en charge de ses lourdes responsabilités, de remplir toutes les obligations qui m’incombent et enfin, de partager toutes ses peines comme ses joies.
La comtesse devait bien admettre que cette réponse était parfaite, elle espérait simplement qu’elle fût effectivement sincère. Elles firent quelques pas pour arriver devant un portrait du colonel Fitzwilliam dans son uniforme.
– Vous avez fait la connaissance de mon fils le colonel Fitzwilliam à Rosings Park, ce n’était pas une question.
– En effet, c’est un homme avec de grandes qualités que j’estime beaucoup, dit Lizzie avec douceur et conviction.
L’assurance de Lady Claire s’effrita légèrement laissant place à une certaine fragilité et vulnérabilité qui se ressentaient subtilement à la fois dans son regard et dans sa voix. Lizzie reconnut l’inquiétude et la tristesse d’une mère dont le fils avait disparu depuis plusieurs mois. La comtesse apprécia tout de même le fait que la jeune femme eût parlé de Richard au présent. C’était peut-être irrationnel, mais cela avait un effet calmant, d’entendre quelqu’un parler de lui comme s’il était encore bien vivant. L’espoir pouvait être une illusion qui permettait de mieux supporter une réalité qu’on se refusait d’admettre.
La première impression que lui avait laissée Miss Bennet était plutôt bonne, mais elle ne s’était pas encore forgé un avis définitif, trop habituée qu’elle était des artifices des femmes prêtes à tout pour s’assurer un excellent mariage, elle décida toutefois de lui donner une chance de prouver sa sincérité. Il était évident que son neveu s’était complètement entiché d’elle, mais si la réciproque était vraie, cela restait encore à déterminer. Et de toute façon, elle ne pouvait pas la rejeter sans risquer de braquer son neveu dont elle connaissait l’entêtement.
L’échange se termina dans une atmosphère apaisée et ce fut sur cette note empruntée d’émotion que les deux femmes rejoignirent les autres dans le salon. À peine furent elles arrivées, que le majordome apporta sur un plateau d’argent une missive.
– Je vous prie de m’excuser, monsieur le comte, mais un courrier urgent vient d’arriver par porteur.
Les Matlock savaient que leur domestique ne les aurait pas dérangés pour un courrier insignifiant, la contenance quelque peu défaite et agitée de l’homme qui normalement était imperturbable en disait long. Le comte lui fit signe de s’approcher. Il saisit la lettre alors que Lady Claire se penchait pour découvrir l’identité de l’expéditeur. Elle porta sa main à sa poitrine, tant l’émotion fut grande et ils s’exclamèrent en même temps :
– Richard !
– Mon fils !
Chapitre 7 à venir
Comment avez-vous trouvé ce thé chez les Matlock ?
Notes :
(1) Tattersall’s (ou Tattersalls) est la principale vente aux enchères de chevaux, notamment de course au Royaume-Uni et en Irlande. Elle a été fondée en 1766 par Richard Tattersall (1724–1795), qui avait été palefrenier du deuxième duc de Kingston.
La plupart des personnages de cette fiction appartiennent à sa talentueuse auteure : Jane Austen. Cette histoire et les personnages inventés sont cependant ma propriété et selon les droits d’auteur, je n’en autorise aucune reproduction et/ou utilisation, qu’elle soit totale ou partielle.
O&P
Un grand merci à Lenniee pour la relecture de ce chapitre et sa contribution à son amélioration.
Commentaires récents